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Éric BRUCHER

Le jour est aussi une colère blanche



Douze nouvelles pour dire la vie dans nos cités d’aujourd’hui, avec son béton, ses temples de la consommation, ses inégalités et sa violence. Les héros appartiennent à la jeunesse souvent sans emploi, en marge pour leur indocilité, leur goût de la liberté, leurs convictions ou leur religion.

Ils se font tagueurs pour « charger la ville de révolte ». « Il y a tant de raisons. Tant de limites, de grillages, de barrières mentales, d’oppositions à rompre, de barbes à raser. » « Il y a sa colère à Wolf. Sa désolation. Sa force pour exister. Alors il tague sa signature. Où il peut. » (Les loups et les agneaux) ou imaginent sur leurs skates « des écritures absconses et prodigieuses comme des hiéroglyphes neufs, des calligraphies extravagantes et inédites, les danses d’une révolution joyeuse ». (Au Mont des arts)
Carlo, le solitaire qui dit à qui veut l’entendre que « Les nuages sont des chevals, on les enfourche des yeux et l’on cavale » et les chasse en poète au sommet des tours (Le petit laveur de vitre), n’est pas si éloigné de Lazlo, cet ami de Wolf amoureux fou de Serena qui se rêve « magnifique chevalier » sur son scooter (Les rondes de Laszlo). De même Lukasz, emprisonné trois longues années pour un casse mal préparé dont il était le pigeon, qui voit sa vie s’illuminer grâce à l’amour d’une Serena qui pourrait bien être la même des années plus tard. (Le casse de Lukasz)
Markus, figure merveilleuse de l’errant insaisissable et prophète à ses heures, n’en finit pas de scruter l’horizon, d’espérer un ailleurs, et d’inciter les autres à le suivre avant de disparaître (Markus le Tsar) tandis que Redouane, alias RaidOne, « a voulu s’en aller pour ne plus revenir, sans même l’espoir de revenir », avec un aller simple pour la Syrie.(Djihad pour tous). Domi, Zacharia et Simon, eux, les voyages ils les imaginent dans leur tête assis dans une carcasse de voiture en plein terrain vague hérissé de palissades. Une cible idéale pour les crânes rasés qui veulent en découdre… (Le blues des losers).

Cette ville prison une et multiple recèle aussi des héroïnes. Calligraphe musulmane refusant le port du voile (La main de Fatima), crieuse de mots et de vers grimpée sur un banc public avec à ses pieds une pancarte avec la phrase de Camus « Je me révolte donc nous sommes » (Suzan) ou en créant une communauté maraîchère bio au cœur des immeubles pour recréer du lien social entre les habitants tout en réintroduisant la nature dans ce mouroir (Flower power again). Chacune à sa façon crie son indignation.
Comme la slameuse de Slam d’Islam qui jette sa colère à la tête des djihadistes :
Bardés à présent de poudre et de clous
Générant alentour ravage désolation
Afin que leurs mâles deviennent pour tous
Maîtres et seigneurs incontestés des nations
Mais moi je suis femme et libre et musulmane
Diktats injonctions interdits je les blâme
Entends mes sentences hommes ou femmes à la dérive
Oui libre et le Ciel m’est témoin que je veux vivre.

Avec leurs noms bigarrés tous refusent avec énergie la chape de plomb qui les oppresse, crient leur révolte et partagent leur espoir et leurs rêves d’un ailleurs ou d’un monde différent.

L’actualité est ici partout présente. L’auteur à la TV belge révèle que Slam d’Islam a été écrit en réaction aux attentats qui ont frappé sa ville. Outre cette nouvelle étonnante par l’ajout d’un Q.R. Code qui permet d’écouter le morceau mis en musique par le fils de l’auteur sur son smartphone et par le fait que dans la nouvelle le slam est écrit par une femme, sexe peu représenté dans cette catégorie  musicale, deux autres nouvelles évoquent l’islam. L’une par le biais d’une autre femme  animée par une foi profonde qui refuse les dérives intégristes imposées par la communauté et prône un islam profond et libre, l’autre mettant en scène un jeune garçon que sa colère et sa souffrance conduisent à faire le djihad.
Mais ce sont d’autres extrémistes, un groupuscule de jeunes embrigadés par l’extrême droite, qui incarnent la terreur dans une autre nouvelle. Et partout l’aliénation du monde du travail, de l’usine à la restauration rapide en passant par les grandes surfaces, la violence du pouvoir et la peur dans la rue, qui cumulée à la fatigue renvoie chacun chez soi, montrent leur visage. 

Le regard que l’auteur jette sur nos villes avec le mal-être qu’elles exhalent est féroce et s’infiltre dans tout le recueil. Il construit progressivement une satire aussi poétique que violente de notre société robotisée  détruisant tout sur son passage en offrande au Capital, transformant l’homme en mouton et en esclave.  
Mais face à cette barbarie, à travers les traits tracés par Wolf sur les murs, la calligraphie du nom d’Allah sur le papier ou les figures que Dusty et ses comparses dessinent dans l’espace comme les mots du poète, de la slameuse ou de la crieuse amoureuse de littérature, l’Art s’impose comme une résistance et une lumière.

Les phrases sont courtes, la formule vive, le style nerveux et incisif et cela convient parfaitement à l’esprit incandescent qui habite ces nouvelles tout en donnant cohérence à l’ensemble.
Certains personnages glissent d’une nouvelle à l’autre, d’autres ont été piochés par l’auteur dans son précédent roman La blancheur des étoiles, mais tous sont animés par la même fureur de vivre, la même rage devant ce qui est et le même désir que ce soit autre. Et c’est cette volonté de faire bouger les lignes, cette capacité à se révolter qui, quand celles-ci sont portées par une énergie positive et non embrigadée pour la destruction, permettent à l’espoir d’y trouver place. 

Certes ce recueil nous alerte tous, quel que soit notre âge, sur la situation présente mais jamais il ne se vautre dans le fatalisme ou la sinistrose. En s’appuyant sur l’énergie et la rage de ses héros l’auteur tente, ce me semble, de réveiller le lecteur, l’appelant à la solidarité, à la résistance et à l’action.
Merci à Éric Brucher pour ce recueil tonique et fort dont la lecture nous amène à porter un regard positif sur la jeunesse, à rejeter le défaitisme ambiant et la peur pour lui préférer l’espoir. 

Dominique Baillon-Lalande 
(20/12/17)    



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Luce Wilquin

(Septembre 2017)
144 pages - 15 €











Éric Brucher,
né à Louvain en 1961,
est professeur de français
et chroniqueur littéraire.
Ce recueil est son quatrième livre.


Bio-bibliographie sur
le site de l'auteur :
http://ericbrucher.be