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Zoé DERLEYN


Le goût de la limace


Ces dix nouvelles sont noires, non dans une logique de polar (aucun meurtre dans tout cela et aucune scène de violence en direct), ni dans celle du fait divers, mais à la manière d’une entomologiste effectuant une plongée dans l’âme humaine à l’occasion d’un drame. Si l’ombre de la mort y plane c’est sans pathos ni dramatisation. L’accident, la maladie, l’agression, le suicide, aussi difficiles à vivre que simplement ordinaires ne sont ici que brièvement rapportés ou même à peine suggérés, non pour créer le mystère mais pour positionner ces faits ou situations comme simples déclencheurs et non comme sujets. L’essentiel est ailleurs, dans l’intimité du ressenti des personnages, au plus près de leur douleur mais aussi de leur lutte intérieure ou leur fuite, avec l’ambiguïté ou les pensées inavouables qui parfois les habitent. 
Les sentiments qui de nouvelle en nouvelle émergent ici de façon récurrente sont le doute, la peur,  la solitude et la frustration. Y pointent aussi souvent un rapport complexe à l’amour, la sexualité et le corps et un lien indélébile avec l’enfance et la famille.
Mais, et c’est un certain tour de force avec tous ces ingrédients, Zoé Derleyn insuffle dans cet ensemble un désir de vivre fort qui s’immisce au détour d’une phrase ou un dialogue comme il en émerge parfois chez l’homme aux moments les plus inattendus.

Ces nouvelles globalement assez courtes sont portée par un langage direct, rythmé et empreint d’une fausse oralité souvent à la première personne qui en facilite la lecture et en accentue l’écho.
Huit de ces nouvelles nous ouvrent les portes d’un univers féminin (gamine ou femme), Pluvier sesaisit de la vie d’un couple face aux inondations de leur habitationet la première nouvelle (Camion) en bonne histoire de famille fondée sur ses secrets joue dans le collectif avec le petit-fils, la grand-mère et les fantômes.

L’humain s’avère ici multiple loin de tout schématisme, ni victime ni bourreau, ni gentil ni méchant mais tout cela en même temps ou alternativement. Ceux-là nous ressemblent.
Ce flou volontaire force le lecteur à faire corps avec le personnage, à s’interroger et trouver sa propre interprétation de l’instant saisi à bras le corps par les mots. Sur la route du Paradis où, lors de la course éperdue d’une femme fuyant des poursuivants, rien ne permet au lecteur de faire la part entre la réminiscence d’un viol, la réalité effective ou la folie, en est probablement l’incarnation la plus énigmatique et la plus saisissante. Un bijou ciselé sous nos yeux qui nous laisse pantelant.

Pour un premier recueil celui-ci est parfaitement maîtrisé et le parti pris difficile de l’exploration intérieure et de l’intime sur une distance courte comme celle de la nouvelle, trouve ici sa cohérence.
Une connivence avec les personnages s’installe et si ce recueil surprend voire peut sur une nouvelle ou l’autre déstabiliser ou gêner le lecteur par cette proximité, si la lecture active qu’il sollicite est exigeante, le style impeccable impressionne entraînant dans son sillage l’émotion.

Un recueil à découvrir, repéré par le jury du prix Rossel 2017 (le plus grand prix littéraire belge). Zoé Derleyn a fait partie des cinq finalistes de la toute dernière sélection.

Dominique Baillon-Lalande 
(06/12/17)    



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100 pages - 15 €








Zoé Derleyn,
née à Bruxelles en 1973,
est peintre de formation.
Le goût de la limace
est son premier livre.