Depuis Cocteau et La voix humaine, le monologue et le téléphone ne s’étaient plus côtoyés. Grâce à Carole Fives, c’est chose faite : son dernier livre nous fait entendre, comme son titre l’indique, une femme au téléphone.

Une femme mais quelle femme ? Elle a eu des enfants, ses enfants sont partis, son mari aussi ; elle est seule. Elle n’est pas vieille pour autant. Soixante ans et des poussières, minuscules poussières qui peuvent se camoufler le temps d’une photo sur un profil. Ah Meetic ! Ah tous ces sites ! Voilà ce qui lui reste. Elle en rit comme elle en pleure et le lecteur idem.

Râler, chougner, emmerder le monde et surtout sa fille, il reste ça aussi à la femme au téléphone. Alors elle l’appelle, sa fille. Elle lui raconte tout et son contraire. Elle la fatigue et se fatigue. Elle manipule autant qu’elle biaise. Que lui répondre ? Rien.

La femme au téléphone est la femme au téléphone. Toute seule et c’est tout.

De coups de fil en coups de fil (les siens seulement) se dessine sa petite vie de retraitée. Les enfants et les petits-enfants, le tricot, l’argent qu’il faut compter, la maladie qui s’en mêle, quelques copains, quelques copines… Rien de merveilleux mais rien de tragique sinon les nuits et les soirées toujours trop longues parce que l’amour, où est l’amour ?

À force de ne pas le trouver, la femme en tirera la force de devenir une originale. Car, oui, oui, elle a sa vie de retraitée et le poids de la solitude sur les épaules mais elle est gentiment fêlée. Ses coups de fil monologués ont ainsi un goût de drôlerie. Drôlerie jaune le plus souvent. Drôlerie franche parfois. L’émotion, elle, est à chaque appel.

Une femme au téléphone est un livre doux-amer. On rit mais on ne voudrait être ni celle qui passe les coups de fil ni celle qui les reçoit. On aimerait tout simplement qu’il n’y ait pas de femme au téléphone sur cette terre car ce serait la preuve que la terre a éradiqué le chagrin. Puisque ce n’est pas le cas, il faut écouter la femme au téléphone. Elle nous parle d’un mal ordinaire qui s’appelle vivre.

Isabelle Rossignol 
(04/02/17)