Retour à l'accueil du site | ||||||||
Sous couvert d’un roman d’apprentissage avec pour narrateur le jeune Noël et pour décor l’Est de la France, ce récit entremêle trois sujets : la crise économique et l’effondrement industriel à partir de la liquidation d’Alstom, le délitement de la famille ouvrière du garçon, et enfin, une catastrophe écologique à la centrale nucléaire de Fessenheim. L’enfant a assisté de près à la précarisation des ouvriers, à leur combat désespéré de manifestations en grèves, puis à la fermeture définitive de la société lourde de conséquences sur la population locale en générale et ses parents en particulier. « Un jour Alsthom est devenu Alstom. Beaucoup y ont vu un mauvais présage. On disait qu’en enlevant le h de Alsthom, c’était le h de humains qu’ils avaient effacé. » Avenir, espoir, quotidien, ce rouleau compresseur politico-financier a tout écrasé, sur son passage transformant un territoire ordinaire en zone sinistrée. Dans le sillon du plan social, les licenciements, le chômage, la migration des ouvriers vers des zones supposées plus aptes à leur fournir un travail mais aussi l’éclatement des familles avec le départ des jeunes et parfois la séparation des couples, s’engouffrent. Le foyer parental de Noël subira de plein fouet ces dégâts collatéraux : Le père partira refaire sa vie à Ostwald, dans la banlieue de Strasbourg tandis que la mère, gardant à sa charge le jeune Noël encore scolarisé, réussira sa reconversion à Belfort. Félix, l’aîné, est étudiant à Strasbourg. Au cœur de la région se trouve la doyenne des centrales nucléaires françaises, Fessenheim. Quand, suite à un tremblement de terre, la centrale prend feu et qu’on évoque la fusion d’un réacteur, les autorités locales délimitent une zone de sécurité autour du lieu de l’accident et, tout en conjuguant des propos rassurants, procède à l’évacuation du périmètre concerné. Quand Noël, une nuit, est témoin d’un tragique événement qu’il n’aurait pas dû voir, les deux frères n’ont plus le choix. Il leur faut s’échapper avant le lever du jour et filer sur Belfort retrouver leur mère. Les terres qu’ils traversent sont dévastées, abandonnées subitement au désordre, avec des voitures abandonnées, des assiettes pleines de nourriture avariée, où errent des chiens, des singes échappés du zoo, des clochards, des fous et quelques vieux comme seule présence humaine. Ce premier roman du jeune Thomas Flahaut (26 ans) ne rentre pas dans le cadre des récits (ou films) post-apocalyptiques très en vogue dans la jeune génération, il est bien plus que ça. En effet l’auteur parvient en à peine 170 pages à tenir son pari complexe de traiter avec la même justesse et en les croisant l’intime (récit d’initiation et délitement familial) et le collectif (fermetures d’usine avec la précarité ouvrière qu’elles induisent, danger que représentent nos vieilles centrales nucléaires). Les scènes de l’évacuation et du regroupement dans un camp qui font écho sans le mentionner explicitement au sort réservé aux migrants économiques, écologiques et politiques en Europe aujourd’hui constituent un morceau de choix. Quant au paysage déserté que Noël et son frère traversent lors de leur tentative de retour au bercail, il est nourri d’images et se trouve doté d’une nature quasi cinématographique. Une mention spéciale aussi pour le personnage secondaire du clochard nommé "la gargouille" à qui l’auteur parvient à donner épaisseur et présence. Enfin, comme une cerise sur le gâteau, l’efficacité et la maîtrise de l’écriture sont aussi au rendez-vous. Ce roman sombre à la violence sous-jacente est porté par une écriture travaillée mais sobre, des phrases courtes (souvent nominales) qui vont droit à l’essentiel pour dire la réalité sans fioritures, de nombreux dialogues pris sur le vif et intégrés directement au récit. Et si cette neutralité orchestrée s’avère au fil des pages à la fois glaçante, anxiogène et non dépourvue d’une violence rentrée en parfaite adéquation avec les situations évoquées, elle laisse paradoxalement mieux entendre également les émotions du jeune héros timide et réservé. Ce roman très personnel à la force singulière et d’une étonnante maturité est pour moi «le» premier roman de la rentrée 2017. Dominique Baillon-Lalande (12/12/17) |
Sommaire Lectures L'Olivier 176 pages - 17 €
|
||||||