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Maurice GOUIRAN


Le diable n’est pas mort à Dachau


L’histoire se passe en 1967. Henri Majencoules, jeune mathématicien, qui vit et travaille en Californie arrive à Agnost-d’en-haut, petit village du sud de la France, parce que sa mère et mourante… Mais il n’a pu arriver à temps. Elle est décédée la veille de son arrivée. Il va alors retrouver son père, la maison de son enfance et nous sentons son amertume, une  sorte de ressentiment : « Cette terre est rude, particulièrement impitoyable avec les femmes qu’elle étiole prématurément, les arrachant à une adolescence flétrie pour les projeter vers une vieillesse maussade et décharnée.»

Il semble n’aimer ni le lieu ni ses souvenirs. En effet, à onze ans, « il avait prétexté vouloir poursuivre ses études pour s’évader d’Agnost-d’en-haut. Il n’en pouvait plus de ce pays du silence, il rêvait d’une ville animée, bruyante, scintillante de néons criards. Marseille lui avait apporté tout ça.» 

C’est ainsi que l’auteur nous campe son personnage, indique son état d’esprit et son environnement. Et très vite on reconnaît ce style toujours aussi percutant, soucieux de la juste note, de l’atmosphère, évoquée et  commentée, comme lors des obsèques de sa mère : « Henri pose son regard sur cette horde silencieuse de vies étriquées, de visages maussades dignes d’un Vendredi saint, d’épaules affaissées comme si chacun portait sa croix avec une humble dignité de sacrifié.» et plus loin : « La vie a choisi de se retirer de ces lieux où elle n’avait rien à faire, où elle avait certainement débarqué par erreur. »

Il retrouve alors deux camarades d’école restés au pays, pour reprendre les fermes familiales et qui lui apprennent qu’il y a eu un crime récemment : une famille entière, le père, la mère et la fille, a été tuée trois semaines avant son arrivée. Une famille américaine qui avait acheté une propriété pour leurs vacances, les Stokton. Les gendarmes s’agitent depuis, ainsi que les médias. On comprend que le temps de son séjour, Henri va s’intéresser à ce meurtre commis si près de chez lui. Par curiosité, ou pour tromper son ennui.

Et là, l’auteur nous fait soudain revenir à l’année 1943, où un jeune homme, Paul Nowitski, « frais émoulu de l’Académie de médecine SS de Graz », fier de travailler pour le bien de sa patrie, participe aux essais consistant à mesurer la résistance des prisonniers du camp de Dachau à assimiler la mescaline Il note leurs réactions et leurs comportements. Un de ses collègues étudie les mêmes effets, produits alors par la scopolamine sur les prisonniers d’Auschwitz, autres cobayes humains…Mais ce jeune homme, a cependant quelques réserves : « Lorsqu’un de ses "patients" décède, il lui arrive de douter de l’intérêt et de la réussite finale de sa mission ». Malgré cela il va réussir à se convaincre et trouver des raisons pour continuer.

D’autres "recherches médicales" nous seront alors relatées avec les attitudes et actes sadiques des personnels, médecins, infirmiers, gardiens.
Y aurait-t-il un lien entre le massacre de cette famille d’Américains, venue passer quelques jours dans ce petit village avec ce qui se passait vingt-cinq ans plutôt à Dachau ?

Antoine Camaro, l’ami journaliste d’Henri, en enquêtant sur Paul Stokton découvre que ce dernier était biologiste et travaillait sur les programmes militaires de recherche d’armes biologiques. Henri cherche des renseignements auprès de son amie et collègue de travail qui pourrait avoir accès à certaines données non publiques. Il s’agit de « sa girlfriend du moment, une fille pimentée au sexe, à la marijuana et à la folk music ». Cette précision nous permettant, au passage, de mesurer le décalage que notre héros a pu éprouver en arrivant dans son village natal !
Il précise d’ailleurs à son ami que lui-même  « bosse indirectement pour l’armée américaine ». D’où sa connaissance du lieu où travaillait Stokton, Fort Detrick.
Mais l’enquête va amener nos deux compères à découvrir d’autres éléments quitte à s’en approcher peut-être dangereusement…
Et c’est là que l’on retrouve l’art et la finesse de Maurice Gouiran car, ici encore, il nous dévoile simplement et toujours brillamment ce que l’histoire nous a caché ou ce qu’elle veut nous faire oublier. Les intérêts actuels et passés de certains individus, les crimes, se conjuguant alors avec les "raisons d’état" supérieures à la morale, voire aux consciences… ou aux crimes.
Ce qui pourrait bien être toujours d’actualité.

Car comme dans ses autres romans, Maurice Gouiran nous offre ici aussi, une analyse documentée et vivante à travers, et grâce, à la fiction. Il arrive encore une fois, avec une construction habile, à nous proposer, non seulement un suspense alimenté par ces questions historiques, et traversé par les descriptions d’une époque ou de différents milieux, mais une réflexion pertinente et actuelle.

Les deux derniers chapitres portent la date de 1995, une sorte d’épilogue. Politique ? Moral ?

Ainsi ces points très sérieux, graves parfois, tricotés si habilement dans ses romans : sa signature ?

Anne-Marie Boisson 
(12/07/17)    



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Noir & polar










Editions Jigal
(Mai 2017)
216 pages - 18,50 €




Maurice Gouiran,

auteur d'une bonne trentaine de romans, voit désormais ses livres sélectionnés dans la plupart des prix du Polar.

Bio-bibliographie
de Maurice Gouiran
sur wikipédia




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