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HAN KANG


Leçons de grec



Han Kang ouvre son livre Leçons de grec par cette phrase de J.L. Borges : « Il saisit l'épée et il la pose nue entre eux ». Cette phrase est assurément la clé de lecture du livre. Borges ne demanda-t-il pas à sa jeune secrétaire, métisse japonaise qu'il épousa quelques mois avant sa mort que cette phrase fût gravée sur sa tombe; cette « lame tranchante » n'est-elle pas sa cécité qui le séparait du monde ? C'est dans cet univers borgésien que l'auteur va emmener le lecteur, avec pudeur et poésie dans le monde infini et labyrinthique des deux personnages.

Les personnages, c'est Elle et Lui. Elle, a perdu la voix; lui, perd peu à peu la vue. Nous ne connaissons pas leurs noms, mais est-ce vraiment important puisque nous connaissons de l'intérieur leurs blessures, leurs rêves, leurs cauchemars, leurs images mentales.

Lui est professeur de grec ancien et c'est en commentant Platon qu'il retrouve le sens énigmatique des mots de sa propre langue : « Je n'avais jamais ressenti de manière aussi vive que le beau et le sacré n'avaient d'abord formé de façon indissociable qu'un seul mot, que la lumière et la couleur n'avaient été qu'une seule entité. »

Elle prend des cours de grec ancien pour tenter de retrouver dans une autre langue les mots de sa propre langue qui se dérobent : « Elle pouvait parler alors, ses sentiments devaient être plus clairs et plus forts. À présent les mots ont quitté son corps. Les mots, les phrases se sont détachés de son corps, ainsi que les âmes errantes, ils la suivent à une distance où ils restent à peine audibles. »

Bachelard disait que « la poésie est le plus rapide chemin pour aller au cœur des choses ». Avec une extrême sensibilité et une fulgurance poétique, Han Kang  restitue admirablement  et la voix et les images mentales de ses personnages :
« Je voyais les innombrables gouttes d'eau qui s'étaient formées sur le mur bleu clair. En observant ces gouttes splendides qui s'étaient infiltrées depuis l'extérieur et qui s'apprêtaient à couler sur le sol, j'ai été saisi d'un doute. Est-ce qu'il pleut dehors ? Mais alors d'où vient toute cette lumière ? »
« Si la neige est un silence qui descend du ciel, la pluie est peut-être faite de phrases interminables qui en tombent. »

Un incident réunira finalement la muette et l'aveugle et c'est dans une apothéose poétique que l'un et l'autre vont communiquer avec leurs corps avec une tendresse et une pudeur dont aucune langue n'a encore trouvé de mot pour le dire.

Leçons de grec, un livre magnifique, une leçon de littérature !

Yves Dutier 
(26/10/17)    



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Le Serpent à plumes
(Août 2017)
464 pages - 23,50 €


Traduction du coréen
Jeong Eun-Jin
et Jacques Batilliot




Han Kang,

née en 1970 en Corée du Sud, est traduite dans le monde entier. Plusieurs
de ses romans ont été
adaptés au cinéma.


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