Cécile Huguenin a décidément un grand talent de conteuse. Ses romans nous font voyager (en Inde, en Afrique ou en Angleterre dans La saison des mangues, ici à Zanzibar et en Écosse) et ses personnages hauts en couleur sont très attachants.

Le premier que nous rencontrons, Titus, est un jeune homme de 23 ans passionné de photo qui mène une existence tranquille dans le giron familial. « Fils tardif de parents lettrés repliés dans un intérêt exclusif pour la culture gréco-romaine, Titus a fait irruption dans leur vie comme un extraterrestre. Plus qu'un élan amoureux, c'est leur passion commune pour cette période de l'histoire qui les avait réunis, lui brillant professeur d'université, elle plus discrète, mais tout aussi reconnue dans son domaine de recherche sur le rôle de la mythologie dans ces sociétés. » Il est maintenant temps pour lui de prendre son envol et de quitter ce nid (trop ?) douillet. C'est une information à la télévision qui va lui en donner le désir et l’occasion.
Clara Davidson, une septuagénaire installée à Zanzibar depuis trois ans, a disparu. Sa maison a été incendiée et, dans les décombres, un cahier à demi calciné a été retrouvé avec cette phrase encore lisible : « Mon histoire à Zanzibar a commencé par un rêve, s’est déroulée comme un conte et se termine en cauchemar. » Depuis le sinistre, on est sans nouvelles de Clara.

Titus a choisi une technique particulière de photographie en se spécialisant dans les fragments. Planté devant la télévision, il mitraille l’écran. Quand il développe sa pellicule et agrandit les détails, il découvre sur les restes du cahier brûlé le chiffre 3. Y a-t-il quelque part les cahiers 1 et 2 ? Que sont-ils devenus ?
Passionné très tôt par les bandes dessinées, admirateur de Tintin et Corto Maltèse, il lui fallait une raison pour se lancer à son tour dans une aventure. Le mystère des cahiers et de cette femme disparue est le signe qu’il attendait. Cap sur Zanzibar !

 Évidemment, l’enquête ne sera pas simple mais un peu de chance et beaucoup de ténacité lui permettront d’avancer pas à pas.

Au Zanzibar Coffee House, il rencontre  trois femmes qui servent le meilleur café du monde. Grâce à sa gentillesse et son talent de dessinateur, Titus entre en relation avec celles qu’il a surnommées Boucle d’or, Diamante et Belzépaule. En faisant leurs portraits, il obtient quelques informations sur la mystérieuse Clara.

En alternance avec l’enquête de Titus, les cahiers de Clara nous permettent de découvrir l’étrange parcours de cette femme, de sa mère Séréna et de sa (presque) jumelle Julia.
Nous y apprenons qu’elle est d’abord passée par la Thaïlande pour s’occuper d’éléphants avant d’atterrir à Zanzibar où, à plus de soixante ans, après une vie maritale qui lui a apporté la fortune sans menacer sa virginité, elle a enfin découvert l’amour physique et laissé libre cours à une sensualité qui a déterminé son  activité professionnelle.

Pourquoi et comment Clara est-elle arrivée à Zanzibar ? Pourquoi et par qui sa maison a-t-elle été incendiée ? De quelle nature était son projet professionnel transgressif ? Avec qui était-elle en relation sur l’île ?
Autant de questions auxquelles l’enquête de Titus et les cahiers de Clara vont apporter toutes les réponses avec précision et délicatesse.

On retrouve ici les thèmes chers à l’auteur – le rapport mère/fille, la quête de l’identité, la disparition du père, le mystère des origines – et son art pour faire naître l’émotion au détour d’une scène. Mais on y voit aussi la découverte tardive de la sexualité, le bonheur qui en découle sans souci de l’âge et l’attirance irrésistible qu’une mystérieuse septuagénaire peut exercer sur l’esprit d’un jeune homme aventureux.
Une fois encore, Cécile Huguenin nous conduit au fil d’une passionnante odyssée et nous fermons le livre comme Ulysse termine son périple, heureux d’avoir fait un beau voyage. Heureux aussi de garder en tête l’image d’une septuagénaire désirable et l’idée que le temps qui passe peut toujours réserver de belles surprises. Passionnant et optimiste.

Serge Cabrol 
(19/06/17)