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Bill D'ISÈRE


Teddy le Kosovar



Jorina est albanaise. Suite à un voyage officiel comme ouvrière en couture à Cuba elle se retrouve enceinte d'un beau et joyeux Cubain et se trouve contrainte à l'exil pour sauver son rejeton à venir.
Pour parvenir à payer son voyage, « Jorina, si je puis dire, s’était bien fait baiser par le chef d’atelier, les manuts et le douanier car ils s’étaient concertés entre eux et exigeaient de plus en plus d’elle » mais elle finit tout de même par atteindre la France saine et sauve.
Là, « La future maman fut admise en maternité où son statut de "sans-papiers réfugiée politique" émut un peu un personnel pas encore au bout d’une déshumanisation due au plan hôpital 2012 et à la loi "Hôpital, Santé, Patient, Territoire". C’était, à l’époque, encore chose normale que de traiter un être humain qui avait choisi de se pointer sur notre sol national avec un minimum d’attention, de respect et, n’ayons pas peur des mots, de dignité humaine. C’était bien avant que notre nomenklatura ne voie des terroristes tout partout, avec des armes de destruction massive. »
Et Mirosh Dervishaj, « Couleur eau sale, cheveux crépus et yeux bleus » « fut officiellement blasé Michel Derviche (un nom à finir tourneur-fraiseur), citoyen français devant la loi par le droit du sol » né de père inconnu et d'une immigrée sans papiers en attente d’asile politique.
L'enfant grandit donc dans la banlieue de Lyon, entre salles de classe et terrain vague avec ses copains gitans. « Quand une simple envie de pisser doit te conduire au bout d’un couloir de vingt mètres de long et que tu as une casserole de patates à bouillir sur un réchaud de camping sur le coin de la table, ton morpion de cinq ans, il est, finalement, plus en sécur en bas sur le parking qu’en train de jouer au cowboy dans ton six mètres carrés. C’est con, mais vu comme ça, les ados dans les cages d’escaliers, ça prend une autre tronche, non ? »

Il a sept ans quand sa mère se met en ménage avec un chef de chantier, ils emménagent dans une résidence "petits-bourgeois". « Au niveau du confort matériel, c’était tiptop : télé avec image couleur, cuisine avec gaz de ville, salle de bains avec baignoire, chiottes intégrées dans le logement. La classe ! Et summum du summum, une chambre rien que pour Michel, presque aussi grande à elle toute seule que le bocal du foyer. » Mais le gamin, trop foncé pour faire couleur locale a du mal à oublier ses années de liberté avec les Gitans près de la décharge. Au collège, il s'est donc « trouvé des poteaux avec qui il retrouvait les vieux réflexes, le goût de l’aventure. Il découvrait aussi le filoutage, art moins salissant que le désossage d’alternateur et tout aussi rémunérateur. La chourave d’un cartable, d’une trousse, d’un maroquin ou d’une quelconque marchandise à l’étal procure facilement quelques biftons sans le désagrément du cambouis sur les paluches. » « Le môme commençait un bon apprentissage de l’arsouille. Il se projetait même les étapes de son cursus : CAP d’affranchi, BEP de barboteur, BTS d’escarpe, licence ès carambouilles et enfin master d’entortilleur mondain ». C'est à l’arrêt "centre de redressement", en pleine campagne à deux heures de chez lui, cerné d'un grillage en fils barbelés avec des barreaux à sa fenêtre qu'il dut faire une halte, avec une semaine par mois en entreprise extérieure « pour apprendre un vrai métier répertorié dans la nomenclature des codes Rome afin de l’extirper de la fange des marginaux de mauvaise vie. Pendant les quatre ans que dura ce régime para-carcéral l'adolescent explora successivement tous les métiers du bâtiment pour choisir finalement celui d'électricien. De quoi acquérir les rudiments nécessaires pour faire exploser le coffre de l'institution qui s’avéra parfaitement vide. Un exploit qui lui valu six mois à démonter des rails avec des Marocains sous haute surveillance, suivi d'un an dans une caserne.

De retour à la vie civile, le jeune Mirosh enchaînera durant plusieurs années différents jobs en intérim comme « laveur de carreaux, décapeur de métaux, étalagiste en supermarché, chômeur, préparateur de sandwiches, trieur de colis, chômeur, aide-maçon, cribleur, chômeur, peintre en bâtiment, chômeur, cribleur, manutentionnaire, plasturgiste, chômeur, et j’en passe. Il a même fait le trottoir, rue Tupin, mais attention, avec une pelle, une pioche, une brouette et du béton. » « Pauvreté chronique certes, changement incessant d’emploi certes, lieu de vie insalubre certes, mais il avait une stabilité affreusement régulière dans sa pauvreté ainsi que dans sa flexibilité et dans l’inconfort. Non, vraiment ! Travailleur pauvre, oui bien sûr, mais précaire, non. » Il finit par décrocher un CDI comme videur dans une boîte de nuit. « Ce fut enfin la possibilité d’avoir un vrai clapier, avec charges et loyer» et d'y emménager avec sa copine. Après quelques années de ce travail nocturne interdisant tout week-end, Michel trouva un poste dans la sécurité comme convoyeur de fonds « avec uniforme, flingouse et tout le toutim dans une société multinationale de transport de pèze, de bijoux, de pierres précieuses et autres trucs que t’imagines même pas que ça existe tellement que ça coûte des picaillons. Il accéda ainsi à presque trente berges au turbin avec cinq semaines de congés payés, convention collective applicable, comité d’entreprise et organisations syndicales représentatives. »
Là, Michel ne rechigne devant aucune heure sup, passe clandestinement quelques enveloppes en Suisse, joue les prête-noms dans le secteur immobilier et finit lui-même par placer de l'argent dans la pierre. 
C'est alors qu'arriva la crise financière de 2008. Si « les loufiats dudit système levèrent quelques milliards pour renflouer les affaires et sauver la bête immorale, [et qu'] une bonne part de la maille fut redistribuée immédiatement en dividendes entre quelques grosses légumes », il n'en fut pas de même pour lui. « En quelques jours […] ses placements boursiers qui, un petit mois avant, valaient grosso merdo le taro d’un accueillant pav des faubourgs d’une proche banlieue, avec barbeuc sur la terrasse, à côté de la pistanche et sous-sol complet, ne lui permettaient même plus désormais de remplir un Caddie de bouffe à Carrouf. » « La direction de la taule pour laquelle bossait Teddy en profita pour dégraisser le pachyderme, pour foutre sur le carreau ou, comme on dit du côté des cols blancs, pour alléger les effectifs afin de réduire la masse salariale. »

L'homme après avoir essayé de se refaire avec une affaire foireuse de Ferrari refourguée en Albanie, décide de passer à la vitesse supérieure sur le terrain qu'il connaît parfaitement.
« C’est chaque jour qu’il les charriait les biftons des parasites qui vivent sur la laine de son dos. […] Après avoir bien travaillé son projet, il n’attendait plus que la bonne occasion pour entrer au panthéon des marlous, au firmament des crapules, à l’Olympe de la voyoucratie. Tout était prêt, il ne restait plus qu’à patienter. » Un coup magistral de 15 millions d’euros, sans violence et sans cadavre, au tarif probable de cinq ans de prison s'il se constitue prisonnier et restitue au moins une bonne part du magot. « Les lavardins n’aiment pas réfléchir quand ils enquêtent sur une affaire. C’est pour ça que les vols simples sont bien vus, les compliqués vachement réprimés et les très compliqués, eux, sont le plus souvent étouffés. Il faut viser les big ministères : l’Intérieur, la Finance, la Défense ou même le Travail. Là, après, tu peux te faire offrir des bottines moches par une putain, vendre un casino dans la Yote, filer des frégates à Taïwan, imprimer des listes de comptes au Luxembourg ou cacher les économies d’une vioque sourdingue. Ça devient tellement compliqué que personne n’y pige plus que tchi et du coup, c’est l’immunité garantie. »

Pour son premier roman, Bill d'Isère (Laurent Manillier) s'inspire, en toute liberté et avec fantaisie,  de la vie et du casse incroyable de Toni Musulin.
La langue est inventive et jubilatoire comme chez Audiard, le ton est vif et enjoué, le rythme soutenu, l'auteur y ose les pires calembours et interpelle son lecteur à tout propos mais celui-ci sent vite que derrière le divertissement dédié « aux canailles, aux affranchis, aux anars » se joue autre chose. Comme l'écrit l'auteur dans son épilogue : «  Tant qu’il y aura de la bêtise humaine, il y aura matière à en rire... Rire jaune ou peut-être voir rouge. »
C'est effectivement l'esprit de révolte et l'indignation ressentie face aux injustices de tout poil qui bousculent ce polar loufoque et truculent où l'auteur, avec autant de réalisme que d'humour, avec cynisme parfois, égratigne notre société contemporaine. La comédie se fait alors sociale pointant du doigt la mondialisation, l'immigration, le capitalisme néolibéral, la réalité du monde du travail et le  chômage, et cette charge, bien plus qu'une simple contextualisation ou un éclairage porté sur le personnage et ses agissements, s'avère constituer la matière même du récit.

 « Ce n’est pas la sémantique qui crée la misère, c’est le patron. […] Quand tu ne peux rien vendre à un pauvre, donne-lui du taf sous-payé. Il l’acceptera en espérant sortir de sa misère et, dès la première paye que tu lui verseras, il aura l’argent pour acheter ce que tu as à lui vendre. »

Une belle réussite.

Dominique Baillon-Lalande 
(25/02/17)    



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Le dilettante

(Janvier 2017)
256 pages - 17,50 €