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Vingt heures d'avion, escale comprise. Nous arriverons à Saïgon. Là-bas, il attend. Il a sept mois. Il est déjà vieux. Il est déjà nôtre. L'adoption, ce n'est pas ça, normalement. Première page, ça commence bien, on a une petite idée du tempérament de la narratrice qu’on va suivre au fil de ce roman. Plutôt complexe ! Face et revers de la médaille ; Janus au double visage ; Dr Jekyll & Mr Hyde… Les images ne manquent pas pour évoquer la dualité d’un personnage. Car cette narratrice (Élizabeth comme l’auteur) ne peut être d’un seul bloc. On ne la suivrait pas ainsi sur tout un roman. Il y a la femme qui aime sa fille de neuf ans et qui décide aussi d’adopter un petit Vietnamien et il y a celle qui comprend très vite qu’elle ne supportera pas cet enfant et qui se montrera violente avec lui. Cette envie d’adopter n’est pas récente. Mais, dès l’arrivée à Ho-Chi-Minh-Ville (que beaucoup continuent à appeler Saïgon), la déception est totale. Elle déteste la ville et ses habitants, le racket permanent de la part des policiers et de tous ceux qui disposent d’une miette de pouvoir. Quand enfin, les formalités sont remplies, les enveloppes de billets et les chèques distribués partout, on leur remet leur bébé, Phi Vŭ. Tout pourrait alors, enfin, être pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ils vont rentrer à Paris avec leur bébé, retrouver leur fille, reprendre leur vie parisienne... Mais voilà ! Le vrai sujet du livre apparaît vraiment, brutalement, violemment. La narratrice ne supporte pas le regard de son fils adoptif, un regard sérieux « qui la juge ». Elle ne supporte pas non plus l’odeur de ses excréments et le changer est une torture, pour elle et pour lui. « Une fois, deux fois, trois fois, je te donne des gifles. Pas très fortes. Mais des gifles. Tu pleures, tu as sept mois. Il faut que je sois morte, ce jour-là, pour pouvoir l’écrire. Pour oser revoir cette femme, moi, te giflant. » Bref, elle n’arrive pas à l’aimer ! Une partie d’elle-même le voudrait mais l’autre n’y parvient pas... Contrairement au roman de Stevenson, le Dr Jekyll sortira-t-il vivant de son combat avec l’ignoble Mr Hyde ? Sans doute puisque nous lisons ce livre que la narratrice « n’écrira que lorsqu’elle sera morte », ou du moins quand une certaine partie d’elle-même, honteuse, dangereuse, incontrôlable sera morte. La quatrième de couverture, d’ailleurs apporte un peu d’espoir : « Pas à pas, cette femme parviendra à la guérison, à laquelle elle accèdera par la force de sa rage transmuée en amour. » L’auteur réussit là un roman très fort, qui ne peut laisser indifférent, un roman dont l’écriture lucide et dérangeante, ironique et impertinente, captive le lecteur, créant un personnage de narratrice fragile et détestable, construisant un suspense angoissant autour de ce bébé livré à une mère secrètement violente, un bourreau qui se cache sous une apparence ordinaire. Un premier roman d’une maîtrise remarquable. Bouleversant ! Serge Cabrol (14/03/17) |
Sommaire Lectures Le Passeur (Février 2017) 192 pages - 16 € |
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