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Beata UMUBYEYI MAIRESSE


Lézardes


Quinze histoires courtes (10 pages maximum) ayant pour cadre le Rwanda qui nous livrent des bribes de vie (Pirouette-cacahuète, Le cœur et ses raisons, Appel du pays, Volcano express), des questionnements (Noir et blanc), des souvenirs (Une génération, Une visite matinale,  Rready or not), vus à hauteur d'enfant. Des récits eux-mêmes entrecoupés par des fables  « Harabaye, ntihakabe ». La première avec une chèvre, ses chevreaux et la hyène qui guette, une autre avec un léopard et ses serviteurs où la victime joue un sale tour à son maître, une dernière avec une lionne, un lièvre et ses petits, chacune portée par la problématique de la protection de ceux dont les mères ont accouché face à l'ennemi, comme en écho à ce que les parents rwandais ont dû ressentir dans l'horreur du génocide au printemps 1994.
 « Les adultes construisent tout autour des enfants un joli mur bariolé supposé les protéger de ce qui fait mal dans la vraie vie. Très vite pourtant, et parfois sans que quiconque en prenne conscience, les premières lézardes apparaissent sur le joli mur de couleur. […] Les lézardes se promènent tout le long du mur et nos beaux mensonges ressemblent à des rides sur un visage prématurément fatigué. Ou à la carte d’un coin perdu entre les marécages et la forêt. La triste topographie des non-dits. » (Préface)

Ceux-là, ceux qui n'étaient alors que des enfants ou étaient sur le point de naître, certains étant aujourd'hui parents à leur tour, expriment aux frontières de la catastrophe « l’enfance que l’on rafistole dans ses souvenirs avec tendresse et lucidité » (ed)  dans un enchevêtrement de vies qui se croisent sur plusieurs décennies.

Voici un petit florilège des trésors enfermés ici :
 « Je suis comme un conteur qui aurait perdu le sens des mots, un sorcier sans ses tours » (Volcano express)
« Dans ce trio qu'il faudrait appeler famille, les sentiments sont muets, l'air est si sec que toutes les larmes du monde s'évaporent avant d'atteindre le sommet. À la base du triangle, Petite et son grand frère tentent de rester debout, à bonne distance du bâton de la mère. […] Un jour l’aîné s'est demandé pourquoi il avait tout effacé, les souvenirs d'avant, le frère et le père dont on n'a jamais retrouvé les restes, la mère telle qu'elle avait été ». (Petite)
« Pendant les semaines qui ont suivi, je me suis réellement transformée en papillon de nuit, sortant me nourrir quand les autres enfants dormaient, et évitant les lumières menaçantes des hommes. » (Ready or not)
« Il dit que Muzehe était un homme très courageux qui avait réussi à sauver deux de ses enfants pendant le génocide. Il dit qu'il s'est très bien occupé de lui et de sa sœur, après que leur maman et les autres sœurs avaient été tuées. […] Le père dit que Muzehe était un homme généreux et Anita se demande pourquoi alors il ne lui a jamais envoyé de livre ou de puzzle pour son anniversaire mais ça elle ne le dit pas. […] Juste avant de se laisser tomber dans le trou sombre et silencieux du sommeil, Anita demande si Muzehe […] va être mort pour de vrai pendant longtemps. » (Appel du pays) 

Derrière la délicatesse de ces récits finement ciselés par Beata Umubyeyi Mairesse transparaît sans être vraiment dite la violence qui fut faite aux leurs mais aussi l'espoir, parfois le désenchantement qui animent ceux qui ont du composer avec la mort toujours présente.
 « Je ne peux pas m’empêcher d'admirer celles et ceux de notre génération, qui ont donné des enfants au Monde. Les survivants devenant parents, faisaient cet effort inouï d'offrir une deuxième chance à l'humanité : l'espoir que leurs filles et leurs fils pourraient vivre en paix avec les bourreaux et leurs enfants. Quel lourd héritage nous leur avons confié. Regarde pourtant n'ont-ils pas l'air d'être sur le point d'y parvenir ? »  écrit l'écrivain dans la toute dernière nouvelle. (Une génération)
Tout est là, non dans l'oubli et la sérénité mais dans la nécessaire réconciliation et le pardon, pour survivre, pour pouvoir espérer un avenir et le construire.

Des nouvelles de l' « après » génocide, sur ses séquelles dans les âmes et les corps mais aussi sur la vie qui cogne à la porte des survivants, et ces enfants qui malgré l'ombre des atrocités projetée derrière eux choisissent de se tourner résolument vers la lumière.

Un recueil émouvant qui sonne juste, à mettre entre toutes les mains dès l'adolescence.

Dominique Baillon-Lalande 
(03/03/17)    



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La cheminante

(Février 2017)
176 pages - 16 €









Beata Umubyeyi Mairesse,
née au Rwanda en 1979,
est venue en France
après le génocide de 1994.
Lézardes est son deuxième
recueil de nouvelles.