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Niroz MALEK


Les anciennes nuits


À un écrivain d’Alep qui vient le consulter pour une hypertension diagnostiquée après toute une batterie d’examens comme « psychologique », le médecin, outre quelques médicaments légers, recommande au patient d’écrire pour tordre le cou à ses angoisses et retrouver le calme de ses nuits.
Une ordonnance atypique qui agace fort le malade mais qu’il se contraindra à respecter à la lettre tant son état lui pèse.

Depuis, chaque jour, scrupuleusement, avec ou sans inspiration, l’homme s’assoit à son bureau où s’accumulent depuis quelque temps les pages blanches et tente d’écrire pour apaiser son cœur.
Surgissent alors mille femmes plus belles les unes que les autres et sous sa plume soudain ensorcelée par les contes orientaux, il voit apparaître Shéhérazade et Aladin en personne, des fées et des mauvais génies, des mendiants, des petits commerçants, des voyageurs, des esclaves, des sultans…
L’auteur en fera un roman à tiroirs à la manière des Mille et une nuits avec une succession de récits gigognes explorant les territoires de la sensualité et l’érotisme mais aussi selon les  jours celui de la philosophie, de la politique, des mythes fondateurs et du surnaturel, avec un mélange de poésie et d’onirisme qui cultive à part égale mystère et séduction.

Mais, n’imaginez pas ici un recueil de contes traditionnel. Ce serait oublier l’esprit facétieux de l’auteur qui s’amuse à camper une Shéhérazade à bout d’imagination face à un amant qui se lasse, une fée amoureuse  qui se sacrifie, un génie ingrat et crétin et un Aladin qui ne retrouve plus sa lampe... Bien faillibles et bien humains tout à coup ces personnages de contes.
Quant aux visites régulières du patient à son médecin qui viennent ponctuer l’ensemble, le personnage de l’homme de science et ses motivations y semblent de plus en plus obscures et son obstination inexpliquée introduit dans certaines de ces scènes un comique de répétition que l’on n’attendait pas. 

En rupture avec son livre précédent en phase avec l’actualité qui évoquait la destruction de sa ville d’Alep  et les ravages de la guerre, Niroz Malek nous propose ici l’évasion par un recours total à l’imaginaire. Mais peut-être se cache-t-il dans cette façon de revisiter de façon personnelle les classiques constitutifs d’une culture millénaire un acte de résistance face à la barbarie qui voudrait rayer tout ce qui la précède et lui échappe ?

Peu familière de l’univers du conte dont je n’ai par goût jamais cherché à posséder vraiment les clés d’interprétation, j’ai eu le sentiment que certains éléments m’échappaient ici en cours de lecture. Mais la tension et la fantaisie de ce livre hybride sont telles que je me suis laissé prendre sans résister dans le filet savamment noué par l’auteur. Et ce n’est pas la puissance des parfums d’Orient qui m’ont ensorcelée. C’est la démarche même de cet auteur syrien qui, pour échapper au tableau désespéré et désespérant de la réalité actuelle dans son pays, pour ne pas gratter une fois encore ses blessures au risque de s’y perdre, tourne le dos pour en faire un portrait en creux  avec une plongée  dans le passé et la culture syrienne pour nous en livrer les beautés. Une sublime déclaration d’amour à une terre blessée qui a tout pour prendre au cœur. 

Dominique Baillon-Lalande 
(30/11/17)    



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Le Serpent à plumes

(Octobre 2017)
368 pages - 22 €


Traduit de l'arabe (Syrie)
par Fawaz Hussain







Niroz Malek,
né à Alep en 1946, a déjà publié Le promeneur d'Alep en 2015 chez le même éditeur.