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Gaëlle PINGAULT


Il n'y a pas Internet au paradis


Alex et Aliénor formaient un couple de trentenaires envié, lui cadre dans l'informatique, elle associée d'un cabinet d'architecture. Ils envisageaient même un enfant (ou deux ?), rêvaient d'une vie moins stressante et plus simple loin de la ville, mais ça c'était avant.
Avant qu'à l'occasion d'un changement de direction dans son entreprise sous prétexte de réorganisation se mette en place une gestion barbare des ressources humaines, avant que tout échappe à la logique si ce n'est la logique du plus fort, avant qu'Alex pris pour cible ne tombe en dépression jusqu'à commettre l'irréparable. 
Maintenant Aliénor est seule et face au vide elle s'effondre, s'interroge, culpabilise de n'avoir rien vu venir avant qu'il soit trop tard. Elle est en colère aussi,  contre lui qui a fui la vie sans lui demander son aide en la laissant seule, contre l'entreprise à qui elle osera demander des comptes. 
Ballottée entre l'abattement et la révolte, entre chagrin et souvenirs, Aliénor n'a qu'une seule certitude : face à l'adversaire, il ne faut pas plier. Mais comment faire son deuil, continuer à vivre malgré tout ? Comment ne pas se perdre elle-même dans ce combat de David contre Goliath face au puissant groupe dont la responsabilité est accablante ? Doit-elle rendre coup pour coup pour venger Alex, et jusqu'où ? Ne risque-t-elle pas d'être laminée à son tour par la sinistre machine ? Ne vaut-il pas mieux choisir le parti pris de la vie et l'avenir pour ne pas les laisser seuls maîtres de ce jeu de massacre ?
Au bout du chemin il y aura la résilience, celle qui se gagne à la force des poignets en ne renonçant pas.

 

Aliénor dans un récit consigné dans un journal intime à la première personne revient sur son couple,  ses bonheurs et ses rêves, avant de dresser une chronique sensible de ce système et ces entreprises qui en vue d'une rentabilité maximale et immédiate consomment sans états d’âme de l’être humain comme de simples machines. Les plans de licenciements qui se suivent n’épargnent pas plus les cadres que les ouvriers et  les cas de burn-out professionnels sont devenus la maladie du siècle. Les méthodes de gestion du DRH auquel Alex a été confronté est classique et limpide : démontrer au salarié qu'il manque d'efficacité et d'autorité, lui reprocher de ne pas atteindre les objectifs fixés par l'entreprise puis lui retirer progressivement tous les dossiers, le priver de déplacement, de  latitude d'action, de réunions sauf celles où il sera désavoué ou ridiculisé avant d'être relégué dans un bureau sans ordinateur, jusqu'à le pousser à démissionner pour éviter les frais d'un licenciement. À ce régime-là beaucoup écœurés craquent et s'en vont, certains pètent les plombs, d'autres comme lui, de plus en plus nombreux, se suicident sur leur lieu de travail pour donner l'alerte.

Pas de méprise cependant, Gaëlle Pingault ne nous fait pas ici la énième dénonciation psycho-sociologique du harcèlement moral en milieu professionnel. C'est Aliénor, son couple, sa douleur, son incompréhension et ses révoltes qui font sujet. Si dans ce roman grinçant et dérangeant l'auteur lève le voile sur une réalité du monde du travail actuelle qui fait écho à bien des situations de salariés, elle réussit à installer une certaine distance avec le sujet sociétal abordé pour laisser place au drame personnel de l'épouse devenue veuve, cette victime collatérale qu'elle choisit comme narratrice.

Le roman parvient ainsi avec une vraie sensibilité mais sans sombrer dans le pathos, en restant constamment factuel,  sans rien masquer de la souffrance au travail d'Alex et à celle de sa compagne mais en usant de distance, de flash-back, d’anecdotes et parfois d'un humour salvateur et libérateur, à  nourrir son récit de l'intérieur à travers l'intimité de son personnage de fiction contradictoire dans ses émotions, alternativement forte et fragile, résignée et combative, pour remettre en perspective ce dysfonctionnent sociétal avec profondeur et humanité.
Et le temps du récit se situant après le suicide d'Alex, aux sentiments de frustration, de gâchis, de doute et de rage légitimement éprouvés par la narratrice se superposent d'heureux souvenirs avant qu'un lent processus de renaissance ne dirige à nouveau ses pas vers la vie et la lumière.

L'écriture ciselée de Gaëlle Pingault, la construction du texte alternant présent et passé, glissant parfois de la première personne au « tu » pour redonner de la substance au disparu et au couple brisé, pour mieux faire percevoir ce vide qui s'impose avec brutalité à celle qui demeure, quelques dialogues utilisés comme moteurs  dans le déroulement du scénario, la justesse de ton employé, font de ce premier roman de la nouvelliste une vraie réussite.
Un texte fort et dynamique qui, derrière la dénonciation ou l'humour, émeut, profondément.

Dominique Baillon-Lalande 
(19/10/17)    



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Éditions du Jasmin

(Septembre 2017)
224 pages - 19,90 €









Gaëlle Pingault
est orthophoniste.
Ce premier roman est
son cinquième livre.





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de Gaëlle Pingault :
http://gaellepingault.
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