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Plus de vingt ans plus tard, Richard Russo revisite son premier roman, Un homme presque parfait, dont Robert Benton fit un film en 1994 avec Paul Newman dans le rôle principal. Les deux romans, qui peuvent se lire indépendamment, ont la même petite ville pour décor et quelques personnages en commun. La bonne ville (imaginaire) de North Bath, station thermale en vogue au début du XIXe gagnée par l’industrialisation puis la récession, souffre de lourds problèmes économiques et écologiques. La présence à proximité de Shuyler Springs, elle en pleine réussite, ajoute au sentiment d’abandon ressenti par les habitants. L’échec du projet d’implantation dans un terrain marécageux d’un parc d’attraction, celui d’un programme immobilier de luxe jamais achevé, ont nourri dans la population la certitude d’une implacable fatalité poussant les uns à partir, les autres à noyer l’odeur pestilentielle en suspension dans l’air, les cercueils qui sortent de terre et flottent lors des gros orages et leur ennui au bar. Le personnage central du roman est cette fois non Sully, un plus que soixantenaire usé par les petits boulots et le chômage malchanceux et sarcastique à qui le sort a ici enfin donné un coup de pouce financier, mais Douglas Raymer, chef de la police rongé par le doute et la dépression depuis la mort de sa femme dans un accident survenu alors qu’elle partait rejoindre son amant. Et ce n’est pas la télécommande de garage retrouvée dans la voiture de son épouse qu’il essaye devant chaque maison de façon totalement obsessionnelle pour démasquer son rival qui va aider le cinquantenaire chauve à rebondir ! Autour de ces deux ennemis de toujours gravitent Ruth, une femme forte qui tient son bar et son monde d’une main de fer, son brocanteur de mari, sa fille et sa fragile petite-fille, Roy, le gendre violent et idiot sorti de prison. On y retrouve aussi Rub, l’ami bègue de Sully fidèle jusqu’à l’esclavage et fossoyeur de son état et Carl le chef d’entreprise mafieux aux projets foireux qui offre au jour le jour des petits boulots malsains et dangereux à qui n’a pas le choix. La plupart, avec leur maladresse ou leur bêtise, leur doutes et leurs névroses, leur lâcheté et leur ténacité à survivre au jour le jour, sont des gens ordinaires cabossés par la vie, des paumés que l’auteur, en évitant tout jugement ou caricature pour explorer avec bienveillance les replis de leurs pensées et leurs sentiments, parvient à rendre crédibles voire attachants ou sympathiques. Au commissariat, une belle policière noire efficace et fière de son identité, son jumeau amoureux de la syntaxe, des blagues et de sa Mustang, enfin un jeune flic aussi peu entreprenant que réactif, assistent Raymer de leur mieux. Une bien petite équipe pour faire face aux morts qui voyagent, aux murs qui s’effondrent, aux serpents qui se sauvent et aux règlements de comptes violents. L’occasion de scènes tragi-comiques enlevées ou cocasses, de courses poursuites, de scènes émouvantes ou hilarantes. Ce livre est un huis clos sur l’échec, la déprime et la vieillesse que l’auteur parvient de façon magique grâce à son rythme trépidant (tout se passe en 48h), à ses anecdotes et ses nombreux rebondissements, avec de savoureux dialogues et des descriptions fantasmagoriques, à transformer en une satire burlesque et déjantée nourrie d’une tendresse bourrue apte à attendrir les pierres comme à faire rire les plus dépressifs. Ce malin-là (terme qui semble plus approprié pour l’auteur que pour ses personnages) est un vrai polar américain classique comme on les aime avec une tension narrative constante et autant d’humour et d’humanité que de férocité. « Une hilarante absurdité » comme le titre le New York Times, un roman virtuose, chaleureux et drôle à ne pas rater. Dominique Baillon-Lalande (08/12/17) |
Sommaire Lectures Quai Voltaire 624 pages - 24 € Traduction de l'anglais : Jean Esch
Bio-bibliographie sur le site de l'éditeur |
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