Retour à l'accueil du site





Pierre SOUCHON


Encore vivant



Etre bipolaire est très douloureux. C’est ce qu’expriment différents ouvrages dont la BD Goupil ou face, chroniquée ici. Encore vivant est un roman passionnant de Pierre Souchon, journaliste engagé pour le Monde diplomatique et L’Humanité. Il reprend son parcours de vie et les évènements déclencheurs de crises dépressives ou maniaques qu’il a vécues dans la souffrance jusqu’au moment où sa maladie, la bipolarité, sera diagnostiquée. Ses troubles auront un nom, ce qui va le rassurer, mais il devra encore cheminer pour accepter d’être malade, comme peuvent l’être les personnes cancéreuses ou diabétiques, et admettre qu’il aura un traitement à vie avec un contrôle médical régulier s’il ne veut pas avoir de rechutes. La différence entre la bipolarité et les autres maladies est qu’elle intervient sur l’humeur et s’exprime dans la personnalité. La psychiatrie fait encore peur et les personnes bipolaires, qui ont parfois des fonctionnements surprenants et dérangeants, sont soupçonnées d’agir intentionnellement dans des moments où elles ne contrôlent pourtant plus leurs comportements.

Pierre Souchon est issu d’une famille de paysans ardéchois  dont l’histoire le hante. Ils ont eu la vie dure et il se sent fidèle à son grand-père en défendant les paysans, les ouvriers licenciés, les personnes précaires. La lutte des classes est bien présente pour lui et il ne supporte plus l’hypocrisie de ceux qui ont le pouvoir et l’argent. Lorsqu’en classe préparatoire il dit que son père est garde-chasse, tout le monde éclate de rire : « J'avais su que si je ne partirais jamais à la guerre, eux venaient de me la déclarer. Il ne s'agissait pas sur mon papa d'une blague dont j'étais capable de sourire. C'était la guerre sociale, la pire, celle qui ne dit jamais son nom, celle qui s'égrène en éclats de rire en mots d'esprit dans les salons. C'étaient leurs hôtels particuliers, leurs particules en enfilades, leurs tableaux de maîtres, leurs promenades de bord de mer, leurs bibliothèques boisées, leurs grands tapis, leurs bonjour mon brave, leurs inaugurations, leurs préfets – c'étaient leurs prestiges de dictionnaires qui écrasaient ma montagne. J'engageais une lutte à mort. »

Il parle avec son père de leurs ancêtres et son père lui révèle qui était vraiment le grand-père que Pierre affectionnait. La réalité n’est pas toujours aussi simple qu’on se l’imagine et Pierre découvrira tous les mensonges dont il n’a jamais soupçonné l’existence.

C’est un roman autobiographique très riche sur l’histoire des paysans ardéchois à travers des personnages très typés, sur la confrontation du monde des riches et des pauvres, sur la bipolarité, sur l’injustice des comportements humains ou leur hypocrisie. Se mêlent le passé de la famille, l’histoire de Pierre, de sa maladie, de son rapport aux autres, de l’hospitalisation avec ses contraintes et sa nécessité. L’étiquette de « fou » exclut du monde dit « normal » dans une société qui fonctionne beaucoup sur l’exclusion de tous ceux qui ne lui conviennent pas ou ne lui paraissent pas rentables.   

A travers le parcours de vie de Pierre Souchon et son histoire familiale, de nombreux questionnements émergent et nous concernent tous. Quel positionnement prenons-nous face au monde actuel ? Pierre Souchon, tant dans sa famille qu’avec des amis est toujours étonné de pouvoir aimer des personnes qui sont odieuses dans la vie  ou dans leur profession comme Louis qui est juriste :
« – On cherche à protéger juridiquement le PDG de Total, Christophe de Margerie. En fait, quand il y a eu l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, en 2001, le PDG de l'époque a failli être mis en examen pour homicides involontaires. Il y a quand même eu plus de trente morts... Et Thierry Desmarest est passé tout près du tribunal, on avait découvert un tas de manquements à la sécurité. Donc nous on bosse pour qu'il y ait une échelle de responsabilités, et que sur cette échelle le PDG n'apparaisse jamais, pour qu'il ne soit pas inquiété. Parce que des accidents comme ça, il peut s'en produire d'autres. C'est pour ça que c'est très juridique, qu'on bouffe du Code pénal, mais c'est passionnant.
– Ah oui, c'est passionnant.
– T'avais dit que tu dirais rien !
Je ne disais plus rien. Parce que c'était le même cinéma. Voilà ce mec que j'aimais profondément, et qui turbinait pour protéger une des plus grosses pourritures du moment. Je voyais les ombres de l'usine désintégrée débarquer dans la pièce... »

La littérature nous permet de nous retrouver dans ces cheminements, dans ces expériences de vie, et ouvre sur une réflexion personnelle car la confrontation à la bipolarité ne laisse personne indifférent et le rapport à la maladie et à la psychiatrie est aussi marqué socialement.

Brigitte Aubonnet 
(07/09/17)    



Retour
Sommaire
Lectures









Rouergue
(Août 2017)
256 pages - 19,80 €














Pierre Souchon,

35 ans, est journaliste pour Le Monde diplomatique et L’Humanité. Rester vivant est son premier livre.