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Dans cet étrange roman oulipien qui oscille entre le ludique et le tragique, vingt-six courts chapitres se succèdent, révélant un nouveau personnage à chaque histoire, dotés comme le seraient des nouvelles, d'une autonomie apparente si un détail particulier ne venait les lier l'un à l'autre comme dans une partie de dominos. Les courts épisodes s’enchaînent de manière mathématique, sans affects, et la chute d’une pièce entraîne la suivante, de la première à la dernière. Le premier personnage, Aaronson, court autour d'un rond-point chaque matin durant une demi-heure de façon obsessionnelle jusqu'à ce qu'il prenne la décision fatale de changer de sens. M. Ashley parti livrer un paquet à M. Baumann le percute alors en voiture. Sauf que toutes les maisons de la rue portent le même numéro et qu'il ne trouve pas le destinataire occupé comme à son habitude à fouiller et recycler les détritus qu'il extrait des poubelles. Une activité qui intrigue fort Boiman, son voisin... À ce dispositif à contrainte, l'auteur ajoute un autre artifice : le respect de l'ordre alphabétique pour organiser l'entrée successive des personnages dans le récit. Succéderont ainsi au jogger Aaronson, à Ashley, Baumann et Boiman déjà évoqués, Camer (un enquêteur), Cohen (un professeur de lettres affligé d'un tic particulièrement obscène), Diamond (un ancien instituteur sauvant vingt-deux enfants de l'illettrisme et des ordures), Einhorn (un de ses anciens élèves patron d'un hôtel de passe), Glasser (un client au cœur artificiel relié à une batterie externe de vingt kilos), Goldberg, la prostituée, son client aveugle Goldstein, Gottlieb l'amant de celui-ci avec la carte de Mendeleiev tatouée en braille dans le dos, Greenberg que ce dernier assassina, Greenfield assistant préposé aux exécutions capitales par électrocution, son ex-patron le Dr Hesel qui passe sa vie à entasser des cafards dans son labo pour les compter, Holzberg architecte rêvant de ronds-points carrés, Hornick son ami vétérinaire, Horowitz l'archéologue qui sauva les deux amis d'un labyrinthe, Kashine, le garçon qui écrit un même et unique mot sur tout, notamment sur le dos de Kessler que cela conduira au divorce. Et la farandole reprend : l'homme divorcé fuit une île ravagée par une terrible épidémie en compagnie de Klein. Ce dernier est soigné par le psychiatre Koen qui officie de jour dans sa clinique et se livre à un rite étrange dans une clairière à la tombée de la nuit. Mme Levy son épouse, originaire du Pakistan et amie de Matteo, s'en irrite… Dans ces scènes tantôt banales et réalistes d'une ville indéfinie d'Europe, tantôt extravagantes et hilarantes présentant une certaine parenté avec le non-sens à la Lewis Carroll, affleure la fable philosophique où s'immiscent l'inquiétude face à la vie moderne, la perversité de nos société, la cruelle réalité du monde du travail, l'exclusion et la solitude. « Connaître, c’est cartographier le désordre » écrit Tavares. D'énigmatiques et inquiétantes photos de mannequins androgynes volés à quelques vitrines et mis à nu, entre machines et corps inanimés, s'intercalent entre les chapitres, distillant le malaise d'un monde de désolation et d'abandon où seuls le vide et l'inhumanité demeurent. Si ces récits qui s’emboîtent jusqu'à constituer une fresque telle une parabole de notre présent virent parfois au cauchemar, l'auteur prend soin de les habiller de surprises, d'humour, d'ambiguïté, pour nous divertir avant de chercher indirectement et de façon elliptique à provoquer réflexion et réaction. « Gottlieb fut retrouvé, arrêté, condamné à mort. Greenberg, quant à lui, ne put assister à la mort de celui qui l’avait assassiné. Même si c’est la règle, cela n’en demeure pas moins une injustice. » Un livre brillant, ingénieux, étonnant, cruel et délectable, hanté par les questions d'ordre et de désordre, de raison et de folie, aussi jouissif et cocasse que désespéré. Dominique Baillon-Lalande (24/06/17) |
Sommaire Lectures Viviane Hamy 200 pages - 20 € Traduit du Portugais par Dominique Nédellec
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