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Gilles ZERLINI

Chutes
ou les mésaventures de Monsieur Durand


Antoine Durand, « un drôle de type comme on dit, un type simple, une face ordinaire, sans beaucoup de charisme. Pas beau, pas laid, un visage passe-partout, normal », est un jeune cadre qui travaille dans la communication. « Un travail sans aucun intérêt où la journée se passe entre ouvertures du courrier, réponses au courrier, machine à café, plaintes autour de la photocopieuse déficiente, et réunions préparatoires des futures réunions. ».

Lors d'un week-end managérial d’entraînement au dépassement de soi, Antoine refuse de sauter à l'élastique comme on le lui demande. Ce sera pour lui le début du déclassement, de l'ostracisme et de la dégringolade. « Je connais le ressentiment qui t’étreint, ce sentiment d’inutilité, cette sensation d’avoir toujours fait pour le mieux, d’avoir été un bon employé, un bon soldat, je sais tes heures passées à l’entreprise, ton implication sans compter, mais ça ne vaut rien à leurs yeux. L’ancienne force de travail, ils s’en moquent, tes capacités de même, ce qui les intéresse c’est tout, ton entité, ils te veulent en entier, ils te payent pour pouvoir t’appeler la nuit, ils veulent que ta pensée, tes loisirs, tes croyances, ta foi, soient au service de l’entreprise, que ton cœur et ton souffle soient à eux, qu’ils fassent partie du contrat, c’est tout ça que tu as signé sans le savoir… »
Loin de se défendre, l'homme s'enferme dans son bureau et urine dans des bouteilles d'eau pour ne pas rencontrer ses collègues ou supérieurs dans les couloirs. Par rejet du système, de façon paradoxale, il arbore des costumes de luxe acquis pour la circonstance mais ne se lave plus. « Parfaitement vêtu, coiffé, rasé et manucuré il entra porteur de son lourd attaché-case et d'une odeur que les jours passant n'avaient fait qu'accentuer. L'odeur de la crasse humaine, paraît-il, ressemble à l'odeur qui émane aux premiers jours d'un corps mort en décomposition. »  

Par malchance, Antoine Durand, homme sans famille, dorénavant marginalisé au sein de son entreprise et rejeté par ses collègues, est aussi un exilé dans cette ville indifférente voire dans sa vie. Le seul lieu où il lui semble retrouver un peu de sincérité et de chaleur  humaine est cet ancien bistrot aussi excentré par rapport à la ville historique qu'au centre-ville urbain d’aujourd’hui, bordel discret à ses heures, où il se réfugie chaque soir pour retrouver  une place et se sentir vivant.

Mais on ne sort pas aussi facilement des griffes du système et la machine ne s'avère pas très encline à laisser un mouton noir sortir de ses rangs….

 

À travers cette histoire dans un Toulon passé et idéalisé (avec notamment ce bar et ses putains décrits avec jubilation par l'auteur non sans relents autobiographiques liés à l'enfance), Gilles Zerlini nous offre un roman focalisé sur le monde du travail et sa force destructrice, sur fond de libéralisme contemporain ambiant privé de toute humanité ou valeurs morales. Il nous décrit les rapports violents d'exploitation, de domination dans l'entreprise, la manipulation des relations internes, comme une esquisse d'un nouvel  enfer de Dante dans un style violent à la façon de GJ Arnaud et des débuts du Fleuve noir.  « J'ai voulu faire un livre punk, un livre comme quand les Sex Pistols disaient on s'en fout s'il faut savoir jouer, on branche les amplis, on balance la sauce, l'énergie. »

En vingt-six courts chapitres, avec un humour distancié et une écriture imagée pleine de références, Gilles Zerlini raconte les étapes successives de cette chute vers l’anéantissement. Mais si  la description sociale y est plus importante que l'intrigue et le mouvement que la psychologie, si l'auteur s'en sert pour créer la tension, le lecteur amené à combler les blancs et en cela impliqué malgré lui (la couverture l'incitant presque à se saisir de la goupille comme maladroitement cet homme meurtri tentera de le faire) ne peut s'empêcher de rire à cette épopée qui finit par abandonner tout réalisme pour basculer dans l'improvisation fantaisiste.

Cette histoire terriblement banale et jouissivement délirante à lire à plusieurs niveaux qui m'avait échappé à sa sortie en février 2016 mérite vraiment un détour chez votre libraire ou par votre bibliothèque. Une belle découverte.

Dominique Baillon-Lalande 
(25/01/17)    



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Materia Scritta

120 pages - 12 €











Gilles Zerlini,
né à Toulon en 1963, nouvelliste et romancier, vit maintenant près de Bastia.