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Le narrateur a vécu une enfance heureuse avec ceux qui ont adopté le nourrisson né sous X qu’il était. C’est aujourd’hui un père de famille discret, bien en ménage et dans son travail de bibliothécaire. On pourrait dire « un homme sans histoire » mais ce serait omettre toutes celles que dans une existence parallèle il vit de roman en roman. Une passion qui pourrait ressembler à de la dépendance. C’est la réalité cette fois qui va venir interférer brutalement avec son quotidien confortable et bien réglé. Un courrier émanant apparemment d’un cabinet notarial l’informe que cette mère biologique inconnue de lui qu’il n’a jamais tenté de découvrir refait surface post-mortem avec le legs des 1144 livres qui constituaient sa bibliothèque. Le héros abasourdi, après avoir évacué l’hypothèse de la mauvaise blague d’un ami indélicat, s’agace de cette intrusion soudaine de l’inconnue dans son existence, s’inquiète de la coïncidence entre son métier et cet héritage. Est-ce une erreur ? Depuis quand cette femme avait-elle retrouvé sa trace ? Qui était-elle ? Que penser de ce geste peu ordinaire ? « Elle ne serait pas dans ma bibliothèque elle qui n’avait pas été dans ma vie » se dit-il avec l’envie immédiate de refuser cet étrange héritage pour laisser la légatrice dans l’anonymat choisi lors de son accouchement. Mais la situation singulière n’est pas sans titiller quelque peu tout de même sa curiosité. Il rappelle donc le notaire chargé de la succession pour l’informer de sa décision mais aussi pour tenter d’en savoir un peu plus. De cet homme charmant au demeurant il n’apprendra pas grand-chose si ce n’est que vu la nature particulière du legs et son absence d’inventaire détaillé et d’évaluation financière il ne peut refuser les trente-huit cartons constituant cet héritage qui lui est échu sans en avoir personnellement vérifié le contenu. Plus la date approche, plus l’homme s’angoisse. « Arpenter la bibliothèque d’un autre, c’est traverser un pays dont on connaît la langue mais dont l’étrangeté grandit à mesure qu’on y pénètre. » Dans la solitude de cette chambre anonyme et triste saura-t-il résister à l’appel des livres et à celui de cette femme qu’il se répugne à nommer « mère » par respect et amour pour celle qui l’a élevé et aimé ? Fera-t-il taire cet espoir de trouver un message ou des traces d’elle entre les pages ou succombera-t-il à l’envie de la découvrir derrière ces piles d’ouvrages ?
Si la problématique des origines est présente tout au long du livre et évoquée de façon sensible, juste et pudique, c’est, à travers ce personnage et cette histoire minuscule, surtout l’amour du livre et de la lecture qui y occupe le plus grand espace. Parfois la déclaration d’amour se double de questionnement. Que disent les livres que nous aimons sur nous-mêmes ? Quels indices du passage d’un lecteur peut-on retrouver dans un livre ? Une bibliothèque permet-elle d’esquisser un portrait de son propriétaire ou ne constitue-t-il que celui d’une époque ? Cet hommage à la lecture, aux amoureux des livres et à la littérature, s’il dit l’émoi et explore brièvement des pistes de réponses à travers son personnage, cultive savamment les zones d’ombres et le mystère quant au lien qui unit ces trois éléments. À l’analyse du plaisir de lecture, Jean Berthier préfère le partage avec son lecteur auquel il tend avec une complicité maline un miroir. Un objet atypique qui a tout pour charmer ceux qu’anime cette même passion mais aussi ceux qui s’intéressent de près aux problématiques de la quête des origines, de l’identité et de la transmission. Dominique Baillon-Lalande (30/01/18) |
Sommaire Lectures Robert Laffont (Janvier 2018) 180 pages - 12 €
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