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Natacha CALESTRÉMÉ


Les blessures du silence


Une histoire qui trouble, une tension, une démonstration élaborée, soutenue, qui mêle le suspense au sérieux du propos. Une histoire prenante abordée, par le truchement d’un roman qui, une fois commencé, ne nous lâchera plus jusqu’à la fin ! Avalera nos heures.

Dans le tout premier chapitre intitulé « Amandine », une jeune femme, en marchant pour aller chercher ses filles à l’école, réfléchit, s’interroge. « Cela fait dix-huit ans que nous vivons ensemble dans la douleur, mais je me rattache aux six petits mois du début durant lesquels notre relation a été exceptionnelle.» […] Est-il normal de vivre engluée dans un quotidien qui ronge mes forces chaque jour un peu plus ? »

Est-ce déjà un indice ? Au moins une première approche de l’histoire de notre héroïne. Car, au chapitre suivant, le commissaire Filipo de la Police Judiciaire de Paris informe son meilleur flic, le major Clivel, de la disparition de cette femme : Amandine Moulin « s’est volatilisée. En dehors des parents qui s’inquiètent, personne ne lève le petit doigt. Le mari n’a pas l’air de s’en faire et les collègues de la jeune femme croient à une grande histoire d’amour. »

Le commissaire ayant connu Amandine avant son mariage semble particulièrement inquiet et insiste. « Elle a disparu depuis huit jours alors qu’elle a trois enfants. C’est une mère exemplaire et je n’arrive pas à imaginer qu’elle les ait abandonnés au profit d’un amant. »

Nous allons vite découvrir que le flic ainsi chargé de l’enquête est un homme intuitif, intelligent, qui pratique l’introspection à l’occasion, et qui va suivre toutes les pistes possibles en partageant avec son collègue, ses premières investigations, comme ses réflexions, ou ses doutes. Et notamment sa perplexité devant l’attitude du mari qui semble penser que sa femme est déjà morte, s’étant certainement suicidée, mais qui, pour autant, ne semble pas être particulièrement déstabilisé. Par ailleurs, sa liaison avec une jeune femme est alors découverte.

Ainsi ce flic sympathique, aux traits d’humour bienvenus pour alléger l’ambiance, avec sa manière d’investir cette enquête, en indiquant les étapes, et ce qu’il en pense ou en déduit, en interrogeant l’entourage professionnel et la famille d’Amandine, ce flic, devient assez familier et nous donnerait presque envie de lui poser des questions afin de l’aider à découvrir ce qui a pu arriver à cette jeune femme.

Alors, lorsque l’écrivaine Natacha Calestrémé, en alternance, et en parallèle avec la description du déploiement de l’enquête, nous fait découvrir la vie d’Amandine dans les chapitres « Amandine, six mois avant sa disparition », puis « Amandine, cinq mois avant sa disparition », et ce, régulièrement jusqu’à « Amandine, une semaine avant sa disparition », nous proposant ainsi des éléments susceptibles de nous éclairer. Cependant le suspense grandit et la tension monte car Amandine confie ses préoccupations, ses malaises et autres interrogations récurrentes, comme ses relations difficiles avec son mari ou l’amour qu’elle porte à ses filles. Et nous avons alors une vision différente de celle perçue à travers l’enquête, vision qui se construit peu à peu, avec ce qui apparaît au détour de mensonges ou manipulations. Avons-nous pour autant une idée de ce qui a pu lui arriver ? Non, car par une habileté d’écriture qui nous ravit, le suspense est toujours ménagé, voire très bien entretenu !
« J’aimerais crier qu’on me donne le mode d’emploi. Je voudrais cesser de parler, de penser, d’agir à contre-courant. Je voudrais surtout arrêter d’être terrassée par la peur de mal faire. »

Un roman intéressant, astucieux, habilement construit donc, et qui nous offre à la fois une situation, un cas (presque) d’école, du fait de la gravité perçue dans les pages révélant le drame vécu, et où la tension monte au fil des chapitres, tout en permettant ce plaisir, né de la curiosité et resté bien accroché jusqu’à la fin.
Un bel ensemble, tout à fait passionnant.

Anne-Marie Boisson 
(09/05/18)    



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Noir & polar








Albin Michel
(Avril 2018)
352 pages - 19,90 €















Natacha Calestrémé,

cinéaste spécialisée dans le documentaire animalier et journaliste, a publié plusieurs essais et trois thrillers, Le Testament des abeilles, Le Voile des apparences et Les Racines du sang aux éditions Albin Michel.