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Jan COSTIN WAGNER


Sakari traverse les nuages


D’abord la douceur du ton, de la phrase, puis la douceur de l’atmosphère, et la lenteur assumée. Peut-être celle des lieux où les évènements vont se dérouler, et l’histoire toucher. Les drames dans les vies sont racontés d’une écriture que l’on ressent comme feutrée parce que la finesse de l’analyse le dispute à la poésie des détails. Et aussi ce que notre imagination, pourra tisser au fil des pages en s’arrêtant sur les tons pastel d’évènements pourtant dramatiques.
« C’est un matin frais, vif et clair, un matin qui, dans un souffle, parle du jour naissant, et tandis que Sakari passe d’une porte à l’autre, d’un monde à l’autre, en dialoguant avec la fée de l’aube, la nuit commence à s’estomper et avec elle l’obscurité qui l’enveloppait. La peur se fait souvenir, le souvenir imagination, l’imagination une pensée figée dont il peut rire. »

Sakari Ekman est un jeune homme particulier. Ce jour-là, sur la Place du Marché de Turku, petite ville de Finlande, il pose ses vêtements et, nu, entre dans la fontaine, sous les jets d’eau, un couteau à la main. Il affirme qu’il est un ange.

Le policier, Petri Grönholm venu l’appréhender, s’approche de lui tout en essayant de le faire revenir à la raison. Se sent-il menacé ? Il tire, brusquement, et presque malgré lui, et tue le jeune Sakari.
Surpris par la rapidité de son geste qu’il ne comprend pas bien, perturbé, il se sent désorienté, et peut-être même déconnecté. Il connaît bien cette fontaine, les fenêtres de son appartement donnent sur la place.
Il va alors solliciter l’aide de son collègue et ami Kimmo Joentaa. Ce dernier va justement être chargé de l’enquête, car il faut déterminer si Petri a agi en légitime défense.
Kimmo est un jeune veuf qui vit avec sa fille Sanna, adolescente délurée, dans une maison au bord d’un lac. On sent une harmonie entre eux.

Des personnages, plus ou moins déterminants pour l’histoire, vont apporter des éléments, éclairer les comportements, ou indiquer un début de lien avec ce qui a pu amener Sakari à ce dernier acte. Le jeune homme, ayant quitté le domicile parental, vivait seul dans « la coloc des nuages » qui est un foyer d’hébergement protégé : « Quatre murs de ciel bleu, clair, de mer bleue, sombre, quelques nuages isolés au plafond, le sol stratifié est bleu foncé, de la couleur de l’eau, de la couleur des murs, de la couleur du matelas posé au milieu de la pièce. Sur le matelas, l’oreiller est bleu clair et la couette bleu ciel. »
C’est ce que découvrira Kimmo au début de son enquête et de ses investigations. Il veut essayer de comprendre le jeune homme, ou du moins connaître ce qui aurait pu être à l’origine de son comportement…

Et puis il y a David, le petit garçon qui s’est trouvé près de la fontaine au moment de la mort de Sakari et qui a tout vu, bien qu’une policière ait pu l’éloigner de la scène.

David a un petit frère Erik dont il s’occupe souvent, et à qui il lit des histoires le soir parce que leur mère n’en est pas toujours capable et que leur père est parti, après la mort de leur fille aînée Emma. La grande sœur. « David essaie de retenir le sourire de maman et puis le sourire disparaît, il essaie désespérément de le rattraper en lui opposant le sien prêt à s’effacer. Alors le sourire de maman revient, comme si une main magique l’avait déposé de nouveau sur ses lèvres. »

Petri est hébergé par son ami Kimmo, chez qui il trouve un soutien et une sorte de protection familiale. La fille de Kimmo a invité des copines, l’ambiance est joyeuse, les jeunes adolescentes se baignent dans le lac, parlent, chahutent. Lui, essaie de réfléchir, manifestement encore sous le choc…

Kimmo, en poursuivant son enquête, est amené à rencontrer la famille de Sakari, sa mère et son tout jeune frère Valterri. « Le bleu pâle de la maison semble en parfaite harmonie avec le bleu foncé de la maison voisine. Une harmonie qui résulte du léger décalage entre les couleurs. »
Lorsqu’un incendie se déclare dans la maison voisine, il apprend alors qu’il s’agit justement de la maison de la famille de David. Y aurait-il un lien ?

C’est alors que nous nous apercevons que tous les personnages, les parents de Sakari ou ceux de David, semblent en cohérence avec l’atmosphère. Comme si les actions ou les évènements s’enchaînaient en tissant avec les individus une sorte de tableau dont les couleurs nous apparaîtraient comme absolument essentielles. Et comme si les actes violents, à travers cet univers sensible, prenaient un sens particulier pour nous toucher sans nous heurter… De toute façon nous allons comprendre ou deviner… puisque tout ce qui est annoncé laissera le sens venir. Et une réflexion sur la mort, peut-être, de s’immiscer alors, comme en douceur ?

Car l’auteur, tout en nous plongeant dans une ambiance parsemée de souffrances ou de drames, nous invite à continuer à flotter dans ce cocon ouaté !
 
C’est l’écriture originale de Jan Costin Wagner qui crée cela, cette écriture fine et évocatrice, qui nous étonne et nous séduit… Et cette « composition » est rare !

Anne-Marie Boisson 
(23/11/18)    



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Noir & polar








Jacqueline Chambon
(Octobre 2018)
256 pages - 22 €


Traduit de l'allemand
par
Marie-Claude AUGER










Jan Costin Wagner,

auteur allemand né en 1972, situe ses romans policiers en Finlande où il vit la moitié de l'année.


Bio-bibliographie sur
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