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Bruce DESILVA


Dura Lex


Dans ce troisième volume de ses aventures, le journaliste Liam Mulligan est confronté à un terrible dilemme : faut-il respecter scrupuleusement la loi et libérer un dangereux meurtrier en série ou peut-on couvrir quelques tricheries avec la justice pour garder le monstre derrière les barreaux ? Aucune de ces deux voies ne lui convenant, Mulligan va en choisir une troisième et ce roman prend vite des allures de course contre la montre.

La première partie, datée de 1989 à 1994, présente en alternance deux sortes d’écrits.
D’une part, des pages en italique où l’on voit un enfant pratiquer des expériences plus cruelles les unes que les autres sur des animaux, criquets, souris, chats ou chiens, et massacrer les poupées de sa sœur à coups de hachette.
D’autre part, le récit de crimes commis avec une extrême brutalité.
En 1992, une femme et sa fille ; en 1994, une femme et ses deux filles ; toutes assassinées de plusieurs dizaines de coups de couteau, chez elles, la nuit. Nous suivons le meurtrier commettant ses horreurs. Il ne prend aucune précaution, agit sans précipitation, laisse des empreintes partout…
Pourtant, les policiers n’ont pas de piste sérieuse parce que les empreintes ne sont répertoriées dans aucun fichier.
Heureusement, Liam Mulligan, journaliste sportif au Dispatch, un quotidien local, est envoyé en renfort. Il sympathise avec l’inspecteur chargé de ces affaires et finit pas établir le lien qui manquait entre un jeune adolescent, Kwame Diggs, et les assassinats. Personne (à part les lecteurs) n’imaginait qu’un gamin de treize ans en 1992 puisse agir avec une telle violence et son âge expliquait aussi que ses empreintes n’aient jamais été enregistrées.

Le meurtrier arrêté et emprisonné, l’histoire pourrait s’arrêter là. Mais on est à peine au quart du livre et l’essentiel du roman est à venir. Il faut préciser que les faits ont été commis dans l’état de Rhode Island, où la peine de mort a été abolie en 1984 et où la législation concernant les mineurs était très favorable à la réinsertion comme le rappelle le procureur alors que tout le monde se réjouit un peu vite : « J'attire votre attention à tous sur une chose, lança-t-il aux fêtards. Le Code pénal de Rhode Island n'a pas été mis à jour depuis des dizaines d'années. À l'époque où il a été rédigé, personne n'avait prévu l'existence d'un enfant aussi pervers et dangereux que Kwame Diggs. La loi prévoit donc que les délinquants juvéniles, quels que soient leurs crimes, soient remis en liberté pour prendre un nouveau départ à l'âge de vingt et un ans. L’attorney général va demander à la législature de récrire la loi pour que cela ne se produise plus. Mais ça n'aura pas d'effet rétroactif. Dans six ans, ce salaud sortira de prison et recommencera à tuer. »

La deuxième partie s’ouvre en 2012. Contrairement aux propos du gouverneur, Kwame Diggs est en prison depuis dix-huit ans. Comment est-ce possible ? La loi n’est certes pas rétroactive mais de lourdes peines se sont ajoutées pour des faits commis en détention : outrage à magistrat, refus de se soumettre à des tests psychiatriques, consommation de cannabis, agression sur des surveillants… En tout une quarantaine d’années supplémentaires.
Edward Anthony Mason, vingt-huit ans,  le fils du propriétaire du Dispatch, y travaille comme journaliste depuis quatre ans, ayant débuté en bas de l’échelle, pour devenir directeur du journal quand son père prendra sa retraite.
Emu par une intervention de la mère de Kwame Diggs qui réclame la libération de son fils, Mason s’informe sur cette affaire et comprend que les divers délits internes reprochés au jeune meurtrier ont peut-être été inventés pour éviter de le remettre en liberté. Encore faudrait-il le prouver et savoir qui en serait complice.
C’est là que se situe le dilemme qui constitue le cœur du roman. L’institution judiciaire peut-elle tricher, mentir, se parjurer, pour éviter qu’un monstrueux meurtrier en série se retrouve en liberté ? Personne n’a vraiment envie d’entrer dans ce débat et l’omerta règne sur cette affaire.
Mason, avec l’aide de Felicia Freyer, la nouvelle avocate de Diggs, choisit de rechercher la vérité. Il mène une véritable enquête et s’efforce de rencontrer tous ceux qui sont à l’origine des diverses plaintes. Il est rarement bien reçu. Il obtient aussi un droit de visite au prisonnier et Kwame Diggs va lui parler de sa vie avant les crimes qu’on lui reproche et dont il se déclare innocent. Il raconte son enfance de petit garçon noir dans un quartier blanc, les humiliations au début, la haine qu’elles engendrent, puis sa croissance d’un coup, devenu assez grand pour se défendre et ne plus être humilié… Mason ne sait pas trop comment démêler la vérité du mensonge.

Pour sa part, Mulligan reste convaincu que Diggs ne doit surtout pas sortir de prison. Les faits étant suffisants pour l’incarcérer en 1994, personne n’a poursuivi plus avant les recherches d’indices. Les empreintes prouvant la culpabilité pour cinq meurtres, pourquoi chercher autre chose ?
Mulligan pense qu’une autre affaire pourrait avoir été ignorée. En cherchant parmi les crimes non élucidés de cette époque, peut-être la présence de Diggs pourrait-elle maintenant être prouvée. Cela servirait-il à quelque chose ? « Ouais. La prescription ne s’applique pas sur ces accusations à Rhode Island. Si on arrive à prouver que c’est lui le coupable, il pourrait être poursuivi en tant qu’adulte même s’il était mineur quand c’est arrivé. »

Une course contre la montre s’engage entre deux équipes. D’un côté, Mason et Felicia qui veulent faire la lumière sur d’éventuels manquements de la justice au risque de provoquer la libération de Diggs. De l’autre, Mulligan et Gloria, une photographe de presse, qui vont fouiller dans le passé de Diggs et de son quartier pour étudier tous les événements qui auraient pu être laissés de côté.

En alternance, les écrits de Diggs en italique continuent à faire froid dans le dos quand il voit l’horizon de sa libération se rapprocher et qu’il imagine ce qu’il pourra faire dehors, à Felicia et Gloria, par exemple…

Un roman passionnant autour de la personnalité heureusement rassurante de Mulligan dont on espère que les efforts dans la deuxième partie seront autant couronnés de succès que dans la première. En début d’ouvrage, un « mot de l’auteur » précise que ce livre s’inspire de deux des plus célèbres affaires criminelles de Rhode Island. La quatrième de couverture indique que Bruce DeSilva a été journaliste d’investigation pendant quarante ans avant de se consacrer entièrement aux romans policiers. Pas étonnant que cette nouvelle enquête de Mulligan ait de tels accents de vérité et que le lecteur soit ainsi tenu en haleine de la première à la dernière page. En attendant la traduction des aventures suivantes de Mulligan, on peut relire les deux précédentes parues chez le même éditeur en 2013 et 2015.

Serge Cabrol 
(21/09/18)    



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Noir & polar








Actes Noirs
(Septembre 2018)
448 pages - 23 €


Traduit de l'anglais
(États-Unis)
par Laure MANCEAU










Bruce DeSilva

né en 1946, a travaillé comme journaliste d’investigation pendant plus de quarante ans avant de se consacrer entièrement aux romans policiers.


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