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Cyril DION

Imago

Ce roman choral se partage entre deux territoires : la bande de Gaza où vivent Nadr et son frère nommé Khalil et la France, pays d’Amandine et Fernando.

Nadr, l’aîné, a toujours protégé son frère né quand il avait dix ans, plus encore depuis la mort  de leurs parents sous les bombes d’un raid aérien. Pour les nourrir, il aide son ami Jalil au garage ou travaille au restaurant de son oncle en cas d’affluence. C’est un pacifiste, qui fuit les violences et le blocus porteur de la misère qui fait leur quotidien, veut encore croire en un avenir possible et cherche à donner du sens à sa vie avec la poésie. Celle de Mahmoud Darwich en particulier.
Khalil est fait d’un autre bois. Il «rêvait d'autre chose que de moisir dans une prison en ruine». Lui, « Les Israéliens. Les Américains. Les Français. Les Occidentaux en général. Tous ceux qui finançaient, entretenaient la guerre contre son peuple. Il aurait voulu les broyer, les dévorer sur place. La haine pourrissait ses pensées. » Alors si Nadr se méfiait des recruteurs du djihad venus à Rafah, sentant que  « leurs discours étaient gorgés des mots du prophète mais que rien de ce qu'il percevait ne collait vraiment avec son idée d'Allah, de la beauté, de l'éternel », leurs mots avaient su séduire son jeune frère. Et malgré la mise en garde fraternelle, le jeune homme finit par s’engager à leur côté dans la lutte armée internationale pour une mission Kamikaze en France.
Nadr incapable de l’accepter part alors sur ses traces pour le dissuader ou l’arrêter dans son geste. 
« Il y a une chance sur un million que tu le retrouves dans une ville comme Paris. Tu n’as pas d’adresse, pas d’argent, tu ne comprends pas le français. […] Qu’est-ce que tu vas faire avec ton petit couteau contre des cinglés qui jouent de la kalachnikov ? Contre des drogués  qui croient qu’ils doivent se faire sauter pour Dieu ? » « Mais ça vaut le coup d’essayer » lui dira Ali à Port-Saïd.

Loin d’eux, Fernando, analyste au "Fonds", (clone du FMI)  étudie les dossiers d’attribution des aides à la population des pays en guerre. C’est un fonctionnaire consciencieux dont la qualité du travail est reconnue et appréciée mais qui, suite à un changement de direction et de méthodes, se trouve déstabilisé. Quand un matin l’agent zélé, qui depuis son embauche avait une clause morale avec son ancien patron pour que les dossiers concernant le Moyen-Orient soient pour raisons personnelles confiés à d’autres collègues, voit un dossier «Palestine» sur son bureau, il se cabre. Mais devant l’impossibilité de faire accepter son refus il finit non sans angoisse par s’exécuter, tentant de retrouver dans la poésie qu’il fréquente depuis toujours au quotidien un équilibre suffisant pour mener sa tâche. Une pratique qui n’empêchera pas l’agent, l’époux et père de famille tranquille de s’isoler chaque jour davantage et de s’effondrer  lorsqu’il devra se rendre en Palestine pour étudier l’impact réel des subventions versées. Son entretien avec le président palestinien replacera avec cynisme le conflit israélo-palestinien dans son contexte international sans lui apporter les réponses chiffrées qu’il était venu chercher. Et il n’est pas au bout de ses surprises.
Amandine, mère de trois enfants (dont Fernando) tous de pères différents, a elle-même participé autrefois à la fondation de la « première ONG à mettre sur le même plan les droits humains et ceux de la nature ». À la soixantaine, usée, elle décide de fuir l'agitation du monde et choisit d’habiter en forêt pour tenter de se reconstruire par une relation intime et forte avec la nature.

Peu à peu de vieilles histoires familiales ressurgissent révélant des liens jusqu’alors inconnus et invisibles entre ces différentes figures. Tout s'imbrique jusqu’au dernier tableau…

Si ce livre sur l’itinéraire d’un terroriste sur fond de conflit israélo-palestinien s’inscrit bien évidemment dans une démarche d’analyse géopolitique, il ne s’arrête pas là.  À travers l’itinéraire de ces quatre personnages c’est aussi l’escalade universelle de la violence et le chaos dans lequel notre monde se précipite instrumentant les populations et générant aveuglément son lot de victimes que Cyril Dion illustre. C’est sa révolte face à cette fatalité et cette injustice qu’il souhaite nous faire partager. Et si Khalil a choisi la vengeance et la mort, les autres mettent toute leur énergie à chercher le chemin qui leur permettra d’échapper au noir destin qu’on a tracé pour eux. Chacun, face à la souffrance, aux luttes de  territoire ou de religion, se lance dans une tentative désespérée de se libérer de ses chaînes pour pouvoir enfin devenir acteur de son existence. « Chacun d'entre nous vit avec sa propre prison, plus ou moins large. Et fait ce qu'il peut pour en sortir… »
 
Au réalisme de la description de la vie en Palestine se superpose un scénario familial en faisceau assez fantaisiste.  Un ressort pour dynamiser le récit et susciter la curiosité du lecteur quant à la psychologie des différents personnages ainsi enrichis d’autres histoires constitutives de ce qu’ils sont.  L’introduction par leur intermédiaire de nouvelles problématiques concomitantes et universelles comme la trajectoire individuelle de chacun face au poids du collectif,  la question des croyances ou de la violence, les dérives de la technocratie, l’ancrage historique et politico-économique des guerres contemporaines, s’en trouve dès lors facilitée.  Cette mise en réseau met aussi en lumière ce qui les unit profondément les uns aux autres : les traumatismes de l’enfance, la souffrance et le doute, mais aussi la quête des valeurs et l’obstination à se trouver pour habiter leur vie.   
Pour compléter le tableau, en écho aux combats et aux ruines qui les entourent, la confusion des sentiments s’expose, finement observée et retranscrite, nous livrant les images de leur champ de bataille intime avec des passages à la première personne et des monologues introspectifs.
Seules les pensées de Khalil trop violent, trop embrigadé ou trop perdu pour se dire, resteront tues. 

Les personnages secondaires qui ne font que traverser le roman comme Jalil, le garagiste, Ali l’Égyptien qui a perdu un fils dans un attentat au Caire et aidera Nadr à passer à Marseille, sa fille,  la communauté de bédouins qui dans le désert sauve Fernando, sont, par leurs paroles ou leurs gestes, des éléments positifs. Ce sont de belles âmes qui en contrepoids à la noirceur de ces destins brisés insufflent dans le récit une lueur d’espoir et une chaleureuse humanité.  

Enfin, à travers les personnages de Fernando et Nadr, ce livre dit aussi la littérature et la poésie comme une bouée face à la tempête et les mots qui sauvent ou du moins apportent la lumière dans l’obscurité.
De même, à travers Amandine ou Nadr, la nature qui accueille l’individu dans son sein peut par sa beauté et son calme se faire réconciliatrice entre l’univers et son résident passager, panser les plaies et apaiser les cœurs. 

Ce premier roman qui sait tisser les cris des victimes et la fureur du monde avec la beauté, la poésie et l’humanisme, recèle, au croisement de la  réflexion et de l’émotion, une profondeur,  un élan, une sensibilité et une générosité qui ne peuvent laisser le lecteur indifférent. 

Dominique Baillon-Lalande 
(10/01/18)    



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Actes Sud

(Août 2017)
224 pages - 19 €









Cyril Dion,
né en 1978, écrivain, réalisateur et poète, cofondateur avec Pierre Rabhi du mouvement Colibris, a déjà publié plusieurs ouvrages pour la jeunesse et les adultes.

Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur :
www.cyrildion.com