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« – Seigneur, a-t-il dit. Je déteste ça. Les trous de mémoire. C'est comme si on laissait tomber des bouts de soi-même au fur et à mesure qu'on avance, non ? Le narrateur, Victor Forde, 54 ans, ne veut pas montrer au barman du pub qu’il a élu comme cantine, à quel point il est seul et désespéré. Il vient de se séparer de l'amour de sa vie, Rachel, devenue une célèbre présentatrice d'émissions de télé et revient vivre non loin du quartier de son enfance, à Dublin. Dans ce café, il se fait aborder par un homme qui le reconnaît (Victor a eu lui aussi son heure de gloire) comme compagnon d'infortune au collège Saint-Martin, chez les frères chrétiens. « Il n'était pas aussi brutal que la plupart des autres frères et enseignants laïques. C'est juste que de temps en temps il perdait la tête. Il disjonctait, sans avertissement. Il avait donné un coup de boule à Cyril Toner alors qu'un silence presque total régnait dans la salle. […] Et il ne s'était rien passé. L'affaire n'a pas eu de suite. Toner est rentré chez lui avec le nez cassé après un passage chez le frère supérieur. […] Et Toner avait dû se sentir chanceux de sortir du bureau du frère supérieur sans avoir subi une nouvelle agression. […] Je n'avais jamais pensé que j'assistais à quoi que ce soit d'illégal. Même se faire peloter par un frère, c'était juste un coup de malchance, la conséquence d'un mauvais timing. » Mais le lecteur sent la menace grandir dans la présence sinistre et gluante d’Ed Fitzpatrick et même s'il se sent bercé, berné, par l'humour du narrateur qui tient ainsi sa vie et son mal de vivre à distance, il voit craquer le personnage que veut bien montrer Victor jusqu'au choc final. Ed, qui ressemble à une de ces monstrueuses statuettes facilitant soi-disant l'accouchement, va faire resurgir chez Victor des pans entiers de son passé et faire s'écrouler la fiction qu'il se, qu’il nous raconte. Victor rêve tout au long de Smile d'écrire un livre sur ce qui ne va pas en Irlande. Si le narrateur, détruit parce qu'il voulait dénoncer, n'arrive pas à écrire ce livre, Roddy Doyle, lui, le fait magistralement et redonne peut-être le « sourire » à tous les « Victor » victimes du silence de toute une société sur les exactions commises par certains au sein de l'église. Sylvie Lansade |
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