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Anne HANSEN

Massacre


« Comme la politesse, qui en aucun cas n’est l'expression d'un respect véritable des autres, la générosité, les mondes d'amour fraternel qu'on s'invente par désir d'espérance, ne sont le plus souvent qu'un rempart pour soi-même contre l'abomination. »

La violence de l'Entreprise regardée ici à la loupe, le cobaye s'appelant Charles Blanchot, cadre supérieur, dont le zèle naïf va le promouvoir dans la hiérarchie à une vitesse fulgurante et le faire redescendre non moins rapidement, cette violence, Anne Hansen nous le démontre brillamment, participe de la société libérale qui la fonde dans l'Entreprise, son pilier et son garant, engendrant urbi et orbi la même violence au niveau des États : mise en concurrence des personnes, écrasement des plus faibles dans l'indifférence générale, il faut garder l'esprit "corporate", renoncement à sa part l'intimité, il faut être avec le groupe, renoncement à son temps libre, il faut que l'Entreprise soit compétitive, sa croissance à tout prix garantissant l'emploi et le train de vie de ses employés.

L'ascension de Charles Blanchot et sa chute nous sont racontées comme épiphénomènes de ce qui est en jeu dans nos sociétés. Anne Hansen nous montre l'actualité à travers le prisme de l'Entreprise : tout est récupéré, lénifié, positivé et gare à ceux qui ne restent pas dans les clous.

Les Attentats vus par l'Entreprise : « L'activité y avait opportunément force de loi, le business y était le seul repère acceptable, et rien, pas même l'effritement du monde, ne devait détourner le groupe de sa mission sacrée. […] Les activités reprirent dès le lendemain des tueries, en vertu du principe selon lequel il faut remonter en selle immédiatement après avoir chuté. »

L'Écologie : « Alors on se mobilisa. On entra en luttes à grands coups d'affirmations. La sauvegarde de l'environnement, qui prenait en Entreprise le nom ambigu de "Développement Durable", avait intégré en bonne place la liste des préoccupations des Hommes de cœur. Au plus haut niveau des États, on s'interrogeait quant à la manière de continuer à exploiter les ressources en donnant toutefois suffisamment de gages de bonne volonté pour ne pas être tenus pour responsables, si la fin venait. »

La connexion de tous à tout : « La quête de facilités, elle, s'épanouissait dans "l’ultra-connexion". […] On désirait, désormais, en toutes choses "être connecté". C'était comme une rassurance, une manière d'affirmation de son existence, d'être au milieu de tout, chacun, individuellement, uniquement. Il fallait que quelque part, dans le nuage, chaque geste, chaque habitude, soient connus, enregistrés, et resservis en une offre de services qui donnaient l'impression de n'être plus anonyme et qu'un être suprême prenait soin de soi, une entité diffuse baptisée "Big Data", ce qui évoquait quelque chose de très bénin, comme une grosse nourrice d’imagerie populaire, seulement dévouée au bien-être de ses protégés. »

Rien n'échappe au parti pris d’Anne Hansen : le féminisme, les migrants, les expressions rebattues comme "faire son deuil" ou "Paris est une fête", tous les sujets qui agitent chaque matin l'actualité du monde occidental riche sont passés au mixeur de l'idéologie de l'Entreprise et Anne Hansen nous prouve que la bouillie produite est bien celle qu'on entend partout, déjà à moitié ingérée quand nous ne nous surprenons pas nous-mêmes à la recracher !

Massacre est un premier roman lancé comme une alerte : oui, halte au massacre ! Halte à la pensée "totalitaire" qui ne serait pas seulement l'apanage de pays dictatoriaux !

Sylvie Lansade 
(15/10/18)    



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Le Rocher

(Septembre 2018)
216 pages - 17 €