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Emmanuel MOSES


Les anges nous jugeront


C'est la tempête sur la ville et dans le parc-forêt de celle-ci. « Le vent avait un tant soit peu cédé, comme si la mer où il s’était levé l’avait rappelé […] un brouillard dense s'était répandu sur la ville et particulièrement à travers le parc, ne se contentant pas d'en occuper les allées et les clairières mais s’y frayant des passages entre chaque buisson. La pluie n'avait pas tardé à l’épaissir davantage, transformant les nappes mouvantes en substance poisseuse, bien plus froid que l'air ambiant. »

Trois personnages, un vieux couple de comédiens, l'homme est aussi un auteur dramatique méconnu, Eugénie et Frédéric, et un passant, Yves, « paysan et fils de paysan », se sont égarés dans le parc. Ils voient une lueur dans la pluie et le brouillard, c'est une cabane. À l'intérieur un homme, Armand, et sa fille, Miranda, qui dort sur ses genoux. Le huis clos pour la nuit commence.

Ce qui se joue entre ces cinq personnages bien caractérisés, c'est la littérature, ses voies et ses formes. Est-elle dans le théâtre incarné par Frédéric « qui parle trop », qui cabotine en faisant des citations d'œuvres dramatiques, peut-être poussiéreuses comme « ses cheveux gris poussière », ces œuvres qui montrent la bestialité de monstres pour qui c'est « malheur aux vaincus », ces œuvres qui ont néanmoins leur poésie et nous parlent de la réalité, la nôtre, ou prophétisent. « Astrov : les forêts russes craquent sous la hache. Des milliards d'arbres périssent. On détruit la retraite des bêtes et des oiseaux. Les rivières ont moins d'eau et se dessèchent. De magnifiques paysages disparaissent sans retour. Il s'arrêta un moment […] puis reprit : il y a de moins en moins de forêts. Le gibier a disparu. Le climat est gâté et la terre devient de plus en plus pauvre et laide. »

Est-elle dans les interrogations d’Yves, le paysan ? « Sa réflexion l'entraîna ensuite dans une autre direction : on pouvait se demander ce qui était loin et ce qui était proche. Le monde extérieur était-il loin ou proche ? Le monde intérieur, loin ou proche ?

Est-elle dans la poésie, ce combat sans merci, sans vainqueur, entre la flamme et la cire de la bougie allumée ? Est-elle dans le conte, chez le brocanteur, chez Miranda, la petite fille qui arrive à déplacer des objets par la pensée, déplacer la flamme de la bougie ? Ou bien dans de vieux journaux, de vieilles photographies qui vous plongent dans votre monde intérieur, votre mémoire ?

Ce court roman d'Emmanuel Moses, inspiré de bien belle manière de La tempête de Shakespeare, questionne la littérature, son rapport à la réalité, ce qui fait sa poésie, est un joli conte et un art romanesque.

Michel Lansade 
(01/10/18)   



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Le Rocher

(Septembre 2018)
136 pages - 15 €









Emmanuel Moses,
né à Casablanca en 1959, poète et romancier,
a publié plusieurs
dizaines d'ouvrages.

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