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Rodrigo REY ROSA

Aucun lieu n’est sacré



Neuf nouvelles écrites à New York à la fin des années quatre-vingt-dix et jamais traduites.
Dans Le chef (2p) un clodo vivant sous le Manhattan bridge, à partir des restes des restaurants de Chinatown et de sa chasse dans les parcs publics, organise des banquets incroyables où filles et garçons se précipitent en masse. Mais quand la jalousie s’en mêle…
Poco-loco (12p) met en scène une danseuse de Zurich qui après un point de chute provisoire trouve une colocation avec Daniel atteint de « démence religieuse » qui se balade avec une poule noire sur l’épaule. Si  Alicia et Daniel ne font que se croiser, un jour…
L’affaire du millénaire (18p) est un échange épistolaire à sens unique d’un détenu très ingénieux qui s’adresse au président de l’association  des prisons privées pour lui proposer un plan pour s’enrichir davantage...
Jusqu’à un certain point (12p) s’appuie sur une autre correspondance, longue de trois ans, entre deux jeunes filles liées d’amitié,  l‘une exilée à Manhattan qui tente de garder le lien avec l’autre restée au Guatemala. Les méfaits du père de la première, suspecté de kidnapping au Guatemala, flottent entre elles autant que sa nouvelle liberté acquise face au mariage de la seconde. Que leur reste-t-il en commun ?
Vidéo nous livre dix esquisses de scénarios à partir de mots-clés en trois pages.
Aucun lieu n’est sacré, un long monologue de trente-trois pages rapporte les séances de psychanalyse à NY entre un cinéaste guatémaltèque et le docteur Rivers. La sœur, l’engagement politique, la violence, l’amour, tout y sera évoqué en vrac jusqu’à trouver une issue inattendue…
Coïncidence (2p) est une réflexion sur le corps et l’esprit. La fille que je n’ai pas eue (5p) parle d’un père quand Éléments (22p) nous immerge dans la poésie et le monde artistique de NY.

        Si les sujets et la forme (monologue, correspondance, faits divers, fragments, scénarios, sur 2 ou 33 pages) relèvent d’une certaine diversité, le lecteur percevra un réalisme commun et une unité autour des thèmes de la brutalité et la peur.
L’axe premier de ces nouvelles de la frontière et de l’immigration, au-delà de la liberté trouvée, est la question centrale de la violence permanente et latente, insidieuse et intime des deux côtés. Au-delà, loin de toute idéologie collective, c’est la question du mal qui s’immisce par les scènes et les mots dans l’esprit du lecteur. 

Ces récits disent aussi le lien indestructible avec le pays natal même haï et fui et l’ambiguïté de la relation de ces immigrés de l’Amérique du Sud aux États-Unis qui accueillent et fascinent mais restent souvent responsables des conflits qui déchirent les pays d’origine. Finalement, si leur fuite leur a permis d'échapper au danger d’un pays en proie à la guerre civile ou plus simplement de venir étudier dans une école réputée pour échapper à la misère, elle ne leur apporte ni le bonheur, ni la tranquillité. La solitude et le sentiment de déracinement l’emportent face à  l'image du "rêve américain". NY n’est plus ici qu’une ville triste, ambivalente et dangereuse.
Mais derrière cette mise en abîme de la violence, derrière ce questionnement lucide et sans complaisance du danger et de l’engagement, derrière l’évocation sensible du déracinement et de  l’exil, du traumatisme et de la barbarie, c’est l’espoir d’une autre vie qui timidement pointe son nez.
C’est aussi l’affirmation de la vertu libératrice de la parole et de l’écriture qui s’affirme.
 
L’originalité de ce recueil bilingue (franco-espagnol) repose également sur son process de traduction à partir d’un  atelier collectif, sans voix dominante, cherchant à restituer la résonance de ces textes en respectant toutes ses potentialités et sa variété de tonalité. C’est du bel ouvrage et une découverte intéressante.

Dominique Baillon-Lalande 
(23/07/18)    



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Lectures








Presses Universitaires
de Lyon

264 pages - 14 €


Édition bilingue : texte original en espagnol & traduction française
par l’atelier de traduction hispanique de l’École normale supérieure de Lyon, dirigé par Philippe Dessommes.









Rodrigo Rey Rosa,
né en 1958 au Guatemala, vit à New York depuis 1980. Une dizaine de ses romans traduits en français sont disponibles chez Gallimard.



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