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Philippe BEYVIN

Les photos d’un père



Tout commence quand à 14 ans Thomas apprend que son père biologique n’est pas ce père qui l’élève depuis toujours et que de ce géniteur la mère dit ne pas se souvenir vraiment de l’identité. De quoi perturber l’adolescent qui, pour tenter de comprendre cette révélation se plonge dans le cinéma de la Nouvelle Vague, miroir de la libération sexuelle à l’œuvre depuis l’après 68. « Si mon orgie de cinéma m’avait permis de pardonner à ma mère, j’avais une profonde affection pour ce père qu’elle m’avait choisi et qui s’acquittait de cette tâche avec sans doute plus de professionnalisme que la majorité d’entre eux. Il m’aimait plus qu’il ne me jugeait, sans pour autant vouloir à tout prix faire de moi son double, sans projeter des ambitions cachées, sauf peut-être pour le tennis. » 
Le temps passe, l’ado grandit, devient adulte, trouve grâce à des études croisées entre langues orientales et finances un bon emploi à La Défense, retrouve par hasard sa première amourette de vacance et en fait sa compagne. Parallèlement il est confronté directement à la vague d’attentats de 1995 dans la station Saint-Michel le 25 juillet.  

C’est aux trente ans de son fils que la mère lui transmet lors d’un repas partagé un carton  d’invitation pour l’exposition d’un certain Grégoire Tollian qui serait ce père accidentel absent.  L’inconnu d’un soir prend ainsi les traits d’un jeune photo-reporter de guerre dont les clichés des conflits du monde (notamment en Algérie, au Biafra, au Nigéria, en Tchécoslovaquie, au Vietnam et au Cambodge…) avaient été publiés dans les grands journaux de l’époque. Au vernissage, la vieille mère du photographe saisie par la ressemblance de Thomas avec son fils disparu s’accroche à lui. Au fil de ses visites il  en apprendra d’avantage sur l’histoire familiale paternelle marquée au sceau de la tragédie, du grand-père arménien tué par des soldats lors du génocide au père élevé dans un orphelinat de Syrie puis arrivé à Paris via la Grèce, entré dans la Résistance puis déporté par les nazis dans un camp de Pologne d’où il ne revint pas. Krikor devenu Grégoire avait deux ans à l’arrestation de son père et la veuve éleva seule le garçonnet.
Ä partir de ces quelques éléments biographiques Thomas va se lancer dans un jeu de piste international sur les traces de celui qui a disparu avant sa naissance en 1970 au Cambodge.  Une enquête qui le mènera dans les bureaux d’une agence photographique parisienne auprès d’un ami de son père, aux Etats-Unis  rencontrer un ancien journaliste ayant fait équipe avec lui, ou récolter en Chine les révélations étranges d’un vieux diplomate vietnamien dans un contexte quelque peu  incongru.
C’est alors qu’à son tour il va être papa...   

           
                  Au-delà de la question de la paternité et du père absent qui permet de s’attacher avec empathie au narrateur et à sa quête, au-delà du tableau cinématographique et savoureux des années 70 à travers le cinéma ou du tableau de trois générations à travers la famille de la mère et celle de son époux mais aussi de la généalogie familiale de son géniteur racontée par la grand-mère, c’est surtout sur l’image, le mythe et la réalité du reporter de guerre lors de cette époque troublée que s’attache magistralement le roman. Très vite, derrière le personnage Grégoire Tollian, des questions récurrentes s’imposent : Qu'est-ce qui pousse des hommes à quitter leur famille et leurs amours pour partir au bout du monde couvrir des guerres plus horribles les unes que les autres ? La poussée d’adrénaline, la recherche de la vérité ou le devoir de rendre compte ?

Ce premier roman, au-delà de l’aspect sensible de la quête des origines assez souvent traitée en littérature et narrée ici avec finesse en s’appuyant sur des personnages, féminins ou masculins, qui ne manquent ni de personnalité ni d’épaisseur, prend toute sa dimension avec l’histoire du photographe de guerre qui permet de balayer une époque et la géopolitique qui s’y rattache tout en insufflant une tension de plus en plus affirmée au récit. Une dose de mystère, aussi : Se pourrait-il que Grégoire Tullian, le disparu dont on a jamais retrouvé le cadavre ou la trace, soit encore vivant à courir le monde comme le croit toujours sa mère ?     

Pour le fils la poursuite du passé n’est qu’un moyen de fonder son présent et de construire son avenir et il est heureux qu’à aucun moment il ne s’oublie lui-même avec sa réalité, son passé familial, son présent, sa vie affective et amoureuse, pour se perdre à chasser une ombre qui n’est pas la sienne. Si les drames s’écrivent ici au passé, le livre de la première à la dernière page reste émotionnellement fort.

Sensible et romanesque, ce roman s’est inspiré pour le personnage du photo-reporter de l’histoire de  Gilles Caron kidnappé avec une vingtaine d’autres journalistes accompagnés de leurs chauffeurs par les forces du FNL et des Khmers rouges en 1970. 

Une réussite. À découvrir. 

Dominique Baillon-Lalande 
(03/05/19)    



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Philippe BEYVIN, Les photos d’un père
Grasset

(Janvier 2019)
224 pages - 18 €











Philippe Beyvin
travaille dans l'édition.
Les photos d'un père
est son premier roman.