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Charlotte HELLMAN

Glissez, mortels


Ce livre n’est pas un roman ni une biographie mais une chronique familiale, un récit des origines. Charlotte Hellman est à la fois l’arrière-petite-fille de Paul Signac (1863-1935), peintre néo-impressionniste, et de Marcel Cachin (1869-1958), directeur du journal L’humanité de 1918 à sa mort. Ce livre rappelle surtout comment et pourquoi Paul Signac a quitté son épouse après vingt ans de mariage pour vivre avec la belle Jeanne Selmersheim, peintre elle aussi, mariée et mère de trois enfants. On y voit Paul Signac, peintre, artiste engagé, libertaire, pacifiste, amoureux, qui devient père de famille à cinquante ans. Un passionnant parcours restitué, entre autres sources, grâce aux neuf mille lettres de Paul Signac à sa femme qu’il a quittée en 1912 mais à qui il n’a cessé d’écrire chaque jour jusqu’à sa mort.

À vingt ans, Paul Signac hésite entre littérature et peinture mais la rencontre de Seurat et Pissarro, entre autres, fait pencher la balance vers la peinture. Dans un cabaret de Montmartre, il rencontre Berthe Roblès et, après neuf ans de vie commune, il l’épouse en 1892. Financièrement, la situation est confortable grâce à l’héritage du grand-père Jules Signac. Il est déjà propriétaire, entre autres, d’une petite maison à Saint-Tropez qui lui permet de découvrir la lumière de ce coin de paradis où il choisit de vivre la moitié de l’année.

Il pratique la marche, la voile, le cyclisme, il aime les voitures. Il peint beaucoup. Côté politique, il est dreyfusard et signe en 1898 un témoignage collectif de soutien à Emile Zola pour le féliciter de son attitude courageuse. Il partage l’anarchisme de son fidèle ami Félix Fénéon, journaliste, auteur des fameuses Nouvelles en trois lignes.

Seul point noir dans cette belle existence, Berthe ne peut pas avoir d’enfant. Un regret pour le peintre.

En 1897, Paul et Berthe s’installent à Auteuil, au Castel Béranger, un immeuble très moderne construit par Hector Guimard. Deux ans plus tard, un autre couple s’installe au même étage, Pierre et Jeanne Selmersheim. Lui est architecte, elle est peintre. Ils ont trois enfants entre 1900 et 1907. Les deux couples se lient d’amitié…

En 1907, Berthe a 45 ans, une grossesse n’est plus envisageable. Jeanne a 30 ans.
Pendant plusieurs années la relation entre Paul et Jeanne reste discrète mais en 1912, elle quitte son mari et ses trois enfants pour vivre avec Paul qui se sépare de Berthe.
Dès l’année suivante, Jeanne est enceinte et la petite Ginette naît en octobre 1913.

Le livre raconte alors la vie, inhabituelle pour l’époque, de cette famille recomposée. Berthe reçoit la petite Ginette dans la maison de Saint-Tropez mais aussi parfois les trois enfants de Jeanne. Paul et Jeanne consacrent leur vie à la peinture et aux voyages.
Paul, politiquement pacifiste, l’est aussi familialement et il ne cesse d’arrondir les angles en écrivant à Berthe tous les jours, lui  disant que cette petite fille est l’enfant qu’ils n’ont pas pu avoir ensemble. Pour que Ginette puisse être l’héritière de son père, Paul et Berthe, toujours mariés, adoptent Ginette qui continue pourtant à vivre avec Paul et Jeanne…

Paul Signac rencontre Marcel Cachin en 1923. « Marcel Cachin, emprisonné à la Santé pendant trois mois, inculpé de haute trahison pour avoir dénoncé les suites néfastes du traité de Versailles et protesté contre l'occupation de la Ruhr, avait reçu la visite impromptue de Signac, dont les convictions pacifistes avaient vibré. » Ils sont restés liés malgré leurs différences.  Cachin écrit à son fils : « Entre un vieux marxiste et un vieux bakouniniste, il est difficile de trouver des terrains communs d'action. Alors nous nous réfugions dans le domaine de la sympathie personnelle, et là c'est parfait. » Les familles Signac et Cachin passent des vacances ensemble en Bretagne et la jeune Ginette est séduite par le beau Charles. Ils se marient en 1934 et ils ont une fille, Françoise, la mère de l’autrice. Mais le roman de la famille Cachin, c’est une autre histoire…

Le cœur de ce livre, c’est ce double amour de Paul Signac pour Berthe et Jeanne. Il a vécu plus de vingt ans avec chacune et n’a cessé d’écrire tous les jours à la première quand il vivait avec la deuxième. C’est aussi la place de la petite Ginette parmi ces trois adultes, Ginette née de Jeanne mais adoptée par Berthe et Paul pour que la transmission de l’œuvre et du patrimoine soit assurée. Un récit familial, certes, mais aussi un beau roman d’amour…

Serge Cabrol 
(17/04/19)    



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Charlotte HELLMAN, Glissez, mortels
Philippe Rey

(Janvier 2019)
208 pages - 18 €