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Victor JESTIN


La chaleur


Léonard dit Léo a 17 ans lors de ces vacances d’été en famille dans un camping de la côte Atlantique. « Le camping avait ses propres lois. Deux semaines de vacances, c’était une vie entière. On y arrivait comme on naît, pâle et seul. On en repartait dans un soupir de tristesse ou de soulagement comme on meurt. » Les Landes avec les pins, les vagues en rouleaux, la peau dénudée partout. Léo est un adolescent maigre plein d’obsessions, mal dans sa peau, misanthrope et drogué à la musique de Wagner. Son seul  copain sur place est Louis, un petit gros suant rejeté de tous et obnubilé par le sexe, qui le suit partout. Le sexe, ceux qui s’exposent sur la plage et dansent le soir – karaoké pour les parents et feu de camp, bières et musique sur la plage pour les ados – y pensent tous. Même les parents de Léo, attentifs et affectueux avec leur couvée, s’inquiètent pour leur aîné quand son jeune frère cumule les conquêtes d’un soir.  « On guettait le désir au fond de mes yeux et sous mon maillot. Mais dans une telle chaleur comment vouloir enlacer, coller une peau à une autre ? »
Un soir, après avoir été éconduit par la belle Luce, Oscar  meurt étranglé sur la balançoire du camping.  « Nous nous sommes regardé mourir l’un l’autre pendant que les autres dansaient. » Suicide ou expérience extrême ? Léo qui l’a vu mourir sans faire un geste, ne saura jamais. Cet immobilisme inexplicable, irréparable, le panique au point de traîner le corps dans les dunes pour l’enfouir dans le sable. « Peu de bêtises en dix-sept ans. Aucune véritable grosse bêtise. Je n'avais jamais triché, volé, frappé. Insulté rarement. La haine et la colère, je les avais accumulées sagement. Ce n'était pas un accident. J'avais laissé mourir Oscar. J'aurais pu le sauver et je ne l'avais pas fait. Ensuite, j'avais caché son corps. Je ne me rappelais plus pourquoi. J'aurais pu m'en aller. On l'aurait découvert au même endroit. On aurait vu les marques sur son cou et l'alcool dans son sang, on aurait noté l'heure du décès. »
Le lendemain, pour la première fois, la même Luce, cette jolie fille que tous les garçons convoitent et qui papillonne de l’un à l’autre, s’intéresse à lui. Le garçon conquis en tombe immédiatement amoureux oscillant entre l’éblouissement ou la colère selon l’attention, la complicité, l’indifférence ou le rejet momentanément manifestés par la belle. Ce serait presque le bonheur si l’intensité du désir qui l’envahit parvenait à chasser le fantôme d’Oscar, la culpabilité et la peur des conséquences de ses actes et non acte lors du drame. « Il n'y avait plus qu'Oscar. Il cadavrait comme une eau stagne, tout contre moi. Il me collait à la peau. [...] Je le traînais avec moi dans les allées. »
Le lendemain la mère d’Oscar inquiète déclare sa disparition au camping. Suite aux appels à témoignage lancés par la sono sans aucun résultat, la gendarmerie et le SNSM (Service National des Sauvetages en Mer) contactés rappliquent. On « cherche entre les vagues, si le corps d’Oscar n’y flottait pas. On se trompait d’endroit. On regardait dans la mer parce qu’elle est violente et froide ; le sable, lui, était trop doux et trop chaud, Oscar ne pouvait pas y être. [...] On se trompait d’ennemi, comme on se trompait sur les sourires et les rires, la joie propagée dans les allées. C’était partout le même grand malentendu. »
La semaine se termine et le départ est proche. Un dernier dîner au restaurant en famille, des messages de Luce sur son portable, la fête qui bat son plein sur la plage avec l’alcool qui coule à flot, la houle qui se lève, et enfin Luce retrouve Léo, l’embrasse et le conduit à l’écart. Ce sera la nuit entière pour eux et la toute première fois pour lui. La découverte du plaisir mais aussi de l’attendrissement qu’il ressent à la regarder dormir ensuite. Mais la parenthèse est de courte durée.  « J’ai joui puis le monde est resté le même, Oscar et les vagues ont continué dehors »  etau matin il lui faut rejoindre ses parents pour lever le camp et regagner le Nord. 
Jusqu’aux derniers instants Léo s’interrogera encore. Est-il coupable ? Doit-il se rendre et tout raconter ?

 

          C’est à de drôles de vacances que nous invite cet auteur de vingt-cinq ans dans son premier roman. Dès la scène d’ouverture (la mort brutale d’un adolescent), la tension s’installe dans son récit pour ne plus s’en effacer. Si le côté factice de la convivialité  du camping avec l’injonction au bonheur déversée en continu par Super Lapin rose dans les haut-parleurs ou la chaleur qui annihile toute volonté mais exacerbe les corps, aurait pu servir chez d’autres de contrepoids ou de dérivatif à la violence de cette scène introductive marquée par la disparition d’Oscar, Victor Jestin fait ici le choix contraire. Il joue de ce décalage même pour introduire un malaise épais et durable qu’il entretiendra sur plus de cent pages telle une chambre d’écho aux sentiments poisseux et confus de Léo, l’unique  témoin du drame qu’il a pris pour héros. Pendant trois nuits et deux jours, du drame au départ de la famille, le lecteur accompagnera dès lors les pérégrinations physiques et mentales de l’étrange Léo qui ne maîtrise rien et ne se comprend pas mieux lui-même qu’il ne parvient à analyser les codes sociaux et le comportement des autres dans cette atmosphère superficielle, fragile et minée de l’intérieur dont il s’est exclu.

Léo n’a rien du héros habituel des récits d’initiation auxquels pourtant La chaleur s’apparente à sa manière.Étranger au monde, prisonnier de lui-même et de son mal-être plus que d’une famille plutôt affectueuse et respectueuse, muré dans son dégoût et sa souffrance, Léo n’a rien pour faciliter l’identification et l’empathie du lecteur. Quand Victor Justin lève à la première personne du singulier le voile sur les pensées intimes de son héros, ce n’est ni pour lui accorder des circonstances atténuantes ni pour nous apitoyer sur son destin mais au contraire pour nous en faire mieux percevoir la singularité. Narcissique, hypersensible, solitaire et désœuvré, rejetant la société sans chercher à la combattre mais avec une frustration porteuse d’une inconsolable souffrance, doté d’un indéniable sentiment de supériorité, le personnage créé par l’auteur s’y révèle anachronique car paré des caractéristiques ordinaires du héros romantique, avec un effet d’écho à cette musique sensible, lyrique et pleine de fureur de Wagner qu’il écoute en continu. Léo incarnerait-il le « mal du siècle » contemporain ? 

Les références littéraires (L’étranger d’Albert Camus ; Roman, poème d’Arthur Rimbaud ; Michel Houellebecq pour le camping des Particules élémentaires...) ne manquent pas mais si elles traduisent très probablement l’admiration personnelle de Victor Jestin pour ces auteurs, elles peinent à trouver ici place et pertinence. La tutelle était peut-être un peu lourde pour de si jeunes épaules et cette faiblesse lui sera d’autant plus aisément pardonnée que les qualités de ce premier roman ne manquent pas.  Son atmosphère flottante entre rêve et réalité installant chez le lecteur des doutes sur ce qui appartient au fantasme ou non dans cette histoire, l’originalité du scénario et du personnage, le rythme d’une écriture directe en parfaite adéquation avec la chaleur et l’angoisse qui oppressent le narrateur, font de La chaleur un livre qui mérite lecture et de Victor Jestin un auteur qui devrait nous réserver de belles surprises à l’avenir.

Dominique Baillon-Lalande 
(28/08/19)    



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Victor JESTIN, La chaleur
Flammarion

(Août 2019)
144 pages - 15 €











Victor Jestin, a 25 ans.
Il a passé son enfance à Nantes et vit aujourd’hui à Paris. La Chaleur est son premier roman.