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Elle, c’est Grace, 19 ans, fille aînée vendue par sa mère à la mort du père pour subvenir aux besoins de la fratrie. Elle est nigériane, a été jusqu’à l’équivalent du bac mais son avenir n’est pas fait d’études mais de travail bien rémunéré dans un pays riche. « Son père lui avait dit : tant de gens ont fait le voyage et font vivre leur famille. C’était une habitude et même une tradition au Nigéria au XXe siècle et avant peut-être. » Il lui faut donc partir, emprunter pour cela de l’argent pour les siens et le voyage. Une façon aussi d’éviter par ce départ un mariage forcé. Vendue à un réseau de prostitution organisé sans le savoir, forte de la bénédiction du « chef priest » qui dans une cérémonie vaudou lui fait jurer d’être obéissante et de rembourser sa dette docilement sous peine de déshonorer et condamner toute sa famille, elle suit Madame Ada, la correspondante locale du réseau, une matrone connue du village et respectée de tous. « Le commerce du corps de ces filles représentait une activité florissante, aussi lucrative que le trafic de drogue ou la vente des armes », il avait été évalué pour le Nigeria à 32 milliards par an. « L’exploitation des corps semblait en expansion partout ; en 2015 l’Organisation Internationale du Travail estimait à 21 millions les victimes du travail forcé, dont 5 millions pour la prostitution. » « Les filles sont là parce qu’il y a un marché. C’est le jeu de l’offre et la demande. [...] Le moteur de ces réseaux est le même que n’importe quelle entreprise : maximiser le profit, obtenir la meilleure rentabilité. [...] Pour les Nigérianes qui ne rapportent pas autant que les femmes d’Europe de l’Est par exemple, le réseau se rémunère aussi sur le logement, la nourriture, le poste, le camion et bien-sûr la dette. » Beaucoup, victimes sans perspectives ayant à peine suivi l’école primaire se droguent pour oublier ou s’abîment dans l’alcool, Grace non. Si toutes fonctionnent par survie en mode automatique « dans un état qui les rend incapables de penser », « qu’elles se constituent un personnage pour survivre et pour sauver la face, ne pas avoir trop honte », elle par éducation a échappé en partie aux sectes religieuses et leurs omniprésentes associations qui régulent tout à la place de l’État au Nigeria. Elle reste convaincue qu’elle vaut mieux que « la prostitution discount » à cinquante euros la passe et est déterminée à s’en sortir dès que possible. Elle veut apprendre le français pour s’intégrer et rester ici en toute légalité en pratiquant un vrai métier une fois sa dette réglée. Une battante qui cherche à rester « digne dans l’indignité, fière dans l’humilité, gaie dans la tristesse » et garde l’espoir d’un avenir. Difficile, elle le sait de quitter le milieu mais c’est là que Gabrielle intervient. Une jeune militante qui, avec son association, stationne en minibus près d’elles pour les réconforter, leur fournir du café pour les réchauffer l’hiver ou des préservatifs, leur faire connaître leurs droits et leur trouver des cours de français gratuits. C’est par son intermédiaire que Grace, quand elle ne sera plus redevable à ses esclavagistes, aura le courage de tout arrêter. Les flics n’ont, eux, ni les compétences, ni le désir, ni la mission de gérer l’humain. Ce livre témoignage entre documentaire et fiction, terrible certes et révélateur d’un tragique destin collectif est optimisé et humanisé par la personnalité et l’itinéraire singulier de Grace qui, par l’intermédiaire de la lumineuse figure de Gabrielle, trouvera l’énergie et l’aide nécessaire pour changer de vie. C’est elle et son association qui l’aideront à trouver les structures et les personnes (comme l’avocate) nécessaires pour sortir du piège et enfin pouvoir vivre libre et au grand jour. Cette histoire accablante, émouvante et forte, sur un sujet que nous connaissons tous sans vraiment en distinguer les rouages, est portée par de beaux personnages dotés d’une conviction sans faille, de courage et d’optimisme. Dominique Baillon-Lalande |
Sommaire Lectures Gallimard (Janvier 2019) 160 pages - 16 €
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