Retour à l'accueil du site





Njabulo NDEBELE

Le lamento de Winnie Mandela



Le roman s’ouvre sur la figure de Pénélope, « symbole absolu de l’épouse loyale envers et contre tout ». L’Afrique du Sud compte des millions de descendantes de Pénélope, toutes ces femmes qui ont souffert impuissantes de l’absence de leur homme, durant de longues périodes, pour travailler dans les mines, les usines et les fermes du pays et plus récemment, ceux qui se sont exilés dans des pays lointains ou ont été condamnés à la prison.

L’auteur a choisi quatre femmes emblématiques de ces descendantes. Elles viennent de régions différentes, ce qui agrémente  leurs propos d’expressions issues de leurs langues d’origine.

La première d’entre elles, Mannete, a vu partir son mari travailler dans les mines, acculé par la sècheresse et la faim, la laissant avec ses cinq enfants. Au début, il revient après chaque contrat de neuf mois, mais avec le temps, ses visites sont moins fréquentes, il devient plus urbain et fonde une nouvelle famille. Mannete part à sa recherche en vain.

La deuxième descendante, Deli, finance pendant 12 ans la formation de son mari parti en Ecosse pour devenir  médecin. Deli rêve qu’il sera « le premier médecin du township ». À son retour, il la retrouve avec un enfant de quatre ans et divorce peu après.

La troisième est Mamello. Son mari disparaît du jour au lendemain. Elle comprend qu’il s’est engagé pour la lutte contre l’apartheid quand elle reçoit une carte postale de Cuba. À son retour, dix ans après, il est condamné à quinze ans de prison à Robben Island. Elle le visite régulièrement et prend soin de ses vieux parents. Quand Mandela est libéré elle sait qu’il le sera aussi. Mais il ne rentre pas. Il divorce et épouse une femme blanche. Mamello se sent « sacrifiée sur l’autel multiracial, jetée pour fonder une famille arc-en-ciel ».

La quatrième, Mara, a épousé un « mari volage, un cavaleur patenté ».

Ces quatre femmes, malgré leurs difficultés, doivent rester loyales envers leur mari, vraies descendantes de Pénélope. Le village, le quartier guette leur premier faux pas. On a vite fait de les juger, de les condamner bien plus sévèrement que les hommes qui les courtisent. En cela nos villages français ressemblent à ceux d’Afrique du Sud…

L’auteur imagine que ces quatre femmes se retrouvent, chaque semaine autour d’un thé. Elles forment la « congrégation des femmes qui attendent ». Un jour, comme un jeu, elles convoquent la plus emblématique, la plus célèbre des femmes d’Afrique du Sud : Winnie Mandela, parce que « Winnie, elle aussi, a passé son temps à attendre. La seule différence entre elle et nous, c’est qu’elle a attendu en public, alors que nous souffrions dans le silence de nos chambres. »

Chaque femme, à tour de rôle, va s’adresser à Winnie Mandela en faisant un lien entre son  histoire personnelle et celle de Winnie.

Mamello évoque les crimes attribués à Winnie. Mamello est partagée entre son admiration et ses doutes à l’égard de Winnie. « Tu me laisses en pleine confusion, déchirée entre mon amour pour toi et mon dégoût pour les horreurs qui te sont attribuées au nom de la liberté. »

Deli imagine que Winnie a dû accumuler un énorme pouvoir politique, suffisant pour la placer au-delà de la critique. « Au lieu de te juger, on te craindrait. »

Winnie à son tour va répondre aux quatre femmes en racontant ses souffrances ; les tortures infligées par la major Swanepoel, le maître-bourreau, les raids de la police qui détruisent tous leurs effets personnels, son exil forcé à Brandfort.
Pour endurer la violence et ne pas la subir, Winnie incorpore cette violence, cette brutalité.

Dans ce roman à la construction peu banale, l’auteur parvient à ne pas juger, ne pas trancher, chaque femme s’y exprime librement. La  vie de Winnie a été une tragédie, elle y apparait  à la fois comme victime et comme coupable. Tout comme ces quatre femmes, qui a le droit de les juger ? On peut lire ce roman comme une leçon de tolérance à l’égard des femmes et aussi comme une réflexion sur la valeur du vrai et du faux. L’auteur décrit sans indulgence la sexualité masculine en prêtant à Deli des mots très durs : « l’urgence physique d’un homme à faire gicler son sperme (…) Débarrassé de sa semence, il se lève et s’en va en se boutonnant, une machine soudain sans valeur. (…) Le viol d’une passade se transforme en viol récurrent. »

J’ai cru que ce roman avait été  écrit par une femme, tant il y a d’empathie, de compréhension vis-à-vis des souffrances que les hommes font endurer aux femmes. C’est aussi un exercice de liberté de l’écrivain vis-à-vis de ses personnages ; il rassemble  des femmes issues des quatre coins du pays, fait surgir Winnie au milieu d’elles et convoque des personnages mythiques : « Dans cet univers-là, nos descendantes voyagent où bon leur semble, prennent la forme qu’elles veulent, écoutent ou non ce qui leur vient aux oreilles. »

Un roman pour voyager dans des espaces improbables, au milieu de personnages qui se libèrent par la parole échangée, sans rien cacher ni dissimuler.

Nadine Dutier 
(18/11/19)    



Retour
Sommaire
Lectures







Njabulo NDEBELE, Le lamento de Winnie Mandela
Actes Sud

(Novembre 2019)
224 pages - 22 €



Traduit de l'anglais
(Afrique du Sud)
par Georges Lory










Njabulo Ndebele,
né en 1948 à Johannesburg, professeur de littérature, a publié
une dizaine de livres.



Bio-bibliographie sur
Wikipédia