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Collectif       (Les 12 lauréats du prix du Jeune Écrivain 2019)


La femme à refaire le monde
et autres nouvelles



Une sève bouillonnante circule dans le recueil La femme à refaire le monde et autres nouvelles. Et pour cause ! il s’agit d’un concours annuel international en faveur de la jeune création littéraire francophone.
   Créé en 1984 à Muret sous l’impulsion d’une petite équipe de bénévoles, il connaît un vif  succès depuis lors. Les apprentis écrivains, âgés de quinze à vingt-sept ans, sont nombreux à tenter l’aventure, environ mille manuscrits parviennent aux comités de lecture concernés. Une présélection permet aux plus compétitifs d’être présentés à un jury composé d’écrivains et de critiques littéraires placé sous la présidence d’Alain Absire, prix Femina 1987.
   Le format retenu est celui de la nouvelle, absolument pas pour une prétendue facilité, bien au contraire, mais parce qu’il correspond le mieux aux critères inhérents à un tel prix. D’ailleurs, une définition fort éclairante de la nouvelle est indiquée dans cet ouvrage : “Texte bref, où la brièveté n’est pas minceur, où l’écrivain peut faire apprécier son sens de l’économie, la vigueur du trait, la justesse du tracé, la beauté de la chute, disant le moins en suggérant le plus, où le lecteur peut, cheminant d’une nouvelle à l’autre, picorer tout à loisir.”
    Voilà donc un genre littéraire favorable à l’expression du talent.
    L’édition du prix 2019 regroupe les douze nouvelles primées ou distinguées par le jury... beaucoup de prétendants, peu d’élus, mais c’est le principe du concours... Les apprentis écrivains retenus bénéficient du parrainage de leurs aînés, auteurs confirmés, dont certains sont issus de cette riche pépinière.
    Le romancier, prix Renaudot en 1982 et nouvelliste, prix Goncourt de la nouvelle en 2005, Georges-Olivier Châteaureynaud a préfacé ce recueil, lui conférant d’emblée prestige et enthousiasme : “Après ces trente-quatre lumineuses premières années d’existence, il n’est pas interdit d’espérer, pour les trente-quatre prochaines, de belles moissons de textes, de nouvelles éclosions d’univers d’écrivains. C’est en tout cas le vœu que je forme.”

   L’ensemble des récits présente un point commun : les jeunes talents sont pleinement concernés par la société dans laquelle ils évoluent.  Ils la ressentent et l’analysent de façon très critique, n’ayant de cesse de dénoncer et d’attirer l’attention sur son incohérence, son inconséquence, ses troubles et ses périls. L’humain y est étudié, disséqué. Son comportement individuel et collectif est passé au crible. La tonalité n’est guère joyeuse. L’angoisse du lendemain est omniprésente.
Les douze nouvelles ne sont pour autant ni stéréotypées, ni uniformisées. L’imaginaire y déborde et son expression est très variée.
    La nouvelle qui a reçu le premier prix, et qui donne son titre à l’ensemble de l’ouvrage intrigue dès le début. Le narrateur se dévoile par petites touches. Le sujet semble bien anodin, une histoire de nez dont le propriétaire n’est pas satisfait. Mais derrière ce nez qui se voit, comme il se doit, au milieu de la figure, se cache tout un monde qui apparaît au lecteur par strates. “Le monde a tellement plus à offrir que la petite beauté de la nature : la beauté de l’architecture, celle de la coupe des vêtements, des visages sculptés, redessinés. Je vais me faire refaire la face.”
   La composition en écriture s’apparente à celle du cubisme en peinture. Les éléments les plus flagrants sont autant de portes d’entrée vers d’autres éléments qui se métamorphosent et entraînent narrateur et lecteur dans une réflexion toujours plus profonde sur la noirceur du monde.

De noirceur, il est aussi question dans Bouphonies. Cette nouvelle surprend autant par son thème, une étonnante histoire de famille, que par son style tendu à l’extrême : le choix des mots est économe, ciblé, chirurgical. “L’air paniqué, l’oncle marmonne qu’il s’excuse, en vain. Enna pleure. Il la prend dans ses bras pour la ramener à la maison. Le petit cortège repart dans la nuit, sans plus de fracas. Les portes se referment et les lumières s’allument.”

    Des cabanes a également pour issue une réalité dramatique, mais les chemins qu’empruntent l’auteur pour y amener le lecteur suivent un parcours atypique : la nouvelle démarre de façon “pratico-pratique” (sic) plutôt enfantine, ludique. Un imaginaire débridé prend le relais : “Je sens les yeux de tous les Makélélés sur moi, je sens leurs cœurs qui battent la chamade dans le mien. Je représente ma tribu. Je suis une martyre. Je crois que c’est le plus beau jour de ma vie.”
Puis, le récit bascule et glisse vers la confrontation inéluctable avec le monde des adultes, un monde de guerre.

    Ce passage bien difficile du monde de l’enfance vers le monde des adultes est également l’objet de la nouvelle Les noms d’oiseaux. Elle évoque à la manière d’une fable, en brisant quelques tabous, le passage de la vie de fillette à celle de femme.

     Sombres encore sont les deux nouvelles aux titres évocateurs : L’Ombre et Les Petits Êtres de l’ombre.

   L’une, écrite par une jeune Burundaise, dénonce la barbarie sous la forme d’un long cri poétique qui s’élève comme “une voix qui résonne encore dans le chaos. Une voix qu’on pourrait entendre, si on ferme les yeux, au-delà de tous les silences, chanter le deuil de l’humanité.”

L’autre, écrite par un jeune Haïtien, évoque l’effroyable monde auquel est livrée l’enfance dans “le coin”.

Un autre univers cruel, celui de la guerre d’Algérie, est mis en scène dans Le voyage. Mais les armes sont ici beaucoup moins en vue que les hommes. Tout particulièrement l’un d’entre eux que nous suivons de façon intime, livre bataille bien malgré lui. Les soldats sont des êtres humains avant d’être des belligérants. Ce récit est composé comme un conte plein d’humanité et de tendresse à la manière du film Joyeux Noël.

L’humanité et la tendresse sont, au premier abord, bien présentes dans La toux, un conte oriental, mais ces vertus ne sont là que pour mettre en exergue les vices des soi-disant bien-pensants. La jeune auteure libanaise livre ici un violent réquisitoire contre les perversions religieuses quelles qu’elles soient.

     La science-fiction est illustrée dans le recueil par le biais de Le Magellan et de L’Écumeur.

     Le Magellan propose un télescopage entre le présent et le futur. L’inventivité du jeune auteur propulse le lecteur à des années lumières... d’où il a le recul nécessaire pour se livrer à quelques réflexions philosophiques : “Ça ne sert à rien d’essayer de vivre ses rêves absurdes, de vouloir la lune en oubliant de profiter de ce qu’on a...”

    Quant à L’Écumeur, le sujet sociétal qu’il met scène est porté par un langage mi existant, mi inventé : “Avec deux cent néos en poche, je serai tellement refait, je pourrai peut-être prendre un inter ticket pour voir ma famille en province ! Mais... Mon souvenir s’efface progressif. oh non. Non ! C’est pas vrai ! Mais quelle erreur de débutant ! Dès que l’âgé est sorti du bâtiment, la coulissante s’est lock automatique !”
   Effet déroutant garanti !

L’exercice de style appliqué dans Femme-feuille est lui aussi très déroutant. L’absence quasi totale de ponctuation est-elle un avantage ou un inconvénient ? Voilà une expérience de lecture à tenter !

Et Enfin, Où iraient se cacher les trésors si les épaves flottaient ? Michel Audiard a certainement influencé le jeune candidat... Et de fait, sa nouvelle est jubilatoire.
 Son narrateur est un joueur de loto. L’auteur, lui, joue à brouiller les pistes, il joue avec le lecteur, avec le langage, avec son image... “Surtout, je consens à vous raconter cette histoire parce que je suis le seul à pouvoir le faire. D’autres ont essayé, mais ils ne pouvaient pas comprendre. À vrai dire, moi non plus, je ne comprends pas tout à fait ; peut-être que vous pourrez m’aider.”

“De nouvelles éclosions d’univers d’écrivains” a écrit Georges-Olivier Châteaureynaud. Voilà un vœu dont la réalisation est en bonne voie !

Catherine Arvel 
(15/07/19)   



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Lectures










Buchet-Chastel

(Mars 2019)
352 pages - 20 €




On peut lire la préface de Georges-Olivier Châteaureynaud et les trois premières nouvelles du recueil sur le site de l'éditeur. Cliquer ici.













1er Prix
La Femme à refaire
le monde

Antoine CHARBONNEAU- DEMERS
23 ans, Montréal, Québec


2e Prix
Bouphonies
Alice CROUZERY
17 ans, Courbevoie


3e Prix
Des cabanes
Millie DUYÉ
25 ans, Ivry-Sur-Seine


4e Prix
Les Noms d’oiseaux
Aylin MANÇO
27 ans, Rouen


5e Prix
Où iraient se cacher les trésors si les épaves flottaient ?
Antoine DAIN
25 ans, Marseille


6e Prix
L’Ombre
Aziza BARKATULLAH
24 ans, Louvain-La-Neuve,
Belgique


Les autres lauréats


Les Petits Êtres de l’ombre
Ducarmel ALCIUS
19 ans, Petit-Gôave, Haïti


Le Voyage
Marie BOUVIER
22 ans, Toulouse


Femme-feuille
Anne-Marie DUQUETTE
26 ans, Sherbrooke,
Québec


La Toux
Gabriella GALLAGHER
18 ans, Beyrouth, Liban


L’Écumeur
Elorn GOASDOUÉ
20 ans, Bohars


Le Magellan
Gaëtan MARAN
22 ans, Lille










Pour plus d'informations visiter le site du Prix du Jeune Écrivain : www.pjef.net