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Marie VAUTIER


Écoute-le battre


C’est le cœur qu’évoque bien évidemment Marie Vautier dans ce recueil de neuf nouvelles sans autre lien apparent que ce livre d’un poète inconnu à la couverture bleue, Ainsi vont les saisons, qui apparaît dans chacun des récits pour y semer quelques mots en écho.
Ainsi ce bref extrait qui pourrait s’appliquer à l’ensemble du recueil mais se trouve placé dans la première nouvelle (Un nouveau départ) 
Se regarder un matin
Écouter son cœur battre
Tout recommencer
C’est justement la poésie qui fait soudain battre le cœur de l’héroïne de ce premier texte, une femme modeste entrée presque par hasard dans une bibliothèque qui, quand elle entend de la bouche même du poète des bribes de son dernier recueil, en reste fascinée. Au lieu de filer ensuite retrouver son mari, elle s’approche encore émue de la table où l’auteur dédicace ses livres pour voir de près cet objet de papier qui a si bien évoqué ce qu’elle-même ressentait. Quand le poète capte simultanément le regard envieux sur sa pile de livres et l’expression de regret inscrite sur le visage de celle qui ne peut se permettre cette dépense, il lui en offre spontanément un exemplaire avec un grand sourire. « Alors tout s’apaise et devient évident, elle sent contre elle, contre la chaleur de son corps, quelque chose qui bat, une promesse nouvelle. » Sous la plume de Marie Vautier,ce choc entre l’angoisse de l’huissier qui habite la femme depuis plusieurs semaines et cette joie intense procurée par les mots de la poésie qu’elle vient de découvrir provoque une incroyable onde d’émotion qui ne peut laisser l’amoureux de la poésie ou le lecteur indifférents. 

Cette première nouvelle donne le la de la tempête émotionnelle qui va traverser tout l’ouvrage. Elle illustre également cette  étincelle fragile qui va permettre à chaque protagoniste de croire un instant à l’impossible, de dépasser l’adversité pour rebondir. Ainsi dans Poids plume, histoire amoureuse et ferroviaire, une femme face à une rupture insupportable qui s’annonce choisira d’agir au lieu de subir quand dans Finito, c’est un directeur d’école, par ailleurs marié et grand-père depuis peu, qui au seuil de la retraitese questionne sur cette vie qui finit et celle qui pourrait dès lors commencer.

Parfois le hasard intervient, comme dans Une vie pour une autre où  Adam et Daniel, liés sans se connaître par une journée tragique d’il y a cinquante ans en Côte d’Ivoire, se retrouvent grâce à un documentaire TV ou dans La bague quand Marcus, chômeur déclassé réduit à faire le ménage pour survivre, parvient à rebondir et renoue avec son adolescent de fils, que depuis son divorce il n’osait même plus recevoir, grâce à un objet trouvé. Si la livraison erronée d’un colis contenant une poupée gonflable chez un très sérieux quarantenaire, correcteur pour un éditeur et célibataire de son état,  sauvage et ascète de caractère, qui s’en retrouve tout chamboulé (Poupée miracle) prête à sourire, c’est une irréparable violence que déclenchera étrangement la page déchirée d’un livre de poésie retrouvée dans une chambre d’hôtel par l’amant qui y attend sa jeune maîtresse (Chambre océan). 
Le glissement vers le fantastique s’invite dans Réminiscence où un tableau aperçu dans la vitrine d’un antiquaire ressuscitera les fantômes du passé chez Irène pour ne plus la lâcher, et dans Au-delà où un voyou ayant fait le désespoir de sa mère assiste à son propre enterrement, se livrant en cet instant à elle de manière sincère et touchante pour la toute première fois. 

 

       Il y a beaucoup d’énergie et de sentiments dans le récit de ces tranches de vies ordinaires saisies à un moment d’extrême fragilité où le cœur des protagonistes s’obstine envers et contre tout à battre. Il suffit souvent d’oser ou de s’accepter pour que le vent tourne et s’il faut parfois faire un pas de côté au risque de se découvrir différent de ce qu’on pensait être, c’est le prix à payer pour tenter de se sentir à nouveau libre et vivant.

C’est toujours à travers le double prisme de leur intimité et de leur relation à l’autre que Marie Vautier envisage ses personnages. Cela lui permet d’aborder avec justesse et profondeur les problématiques amoureuses, familiales, professionnelles, sexuelles ou sociales qui bousculent ces êtres d’âge, de sexe et de classe sociale variés, au moment où ils sont confrontés à des situations personnelles délicates et voient leur vie basculer. Cette cohérence de point de vue, de tonalité et de temporalité d’une part, la diversité des personnages et des situations d’autre part, se conjuguent  pour donner sens au recueil, lui apporter un équilibre harmonieux, préserver sa dynamique et sa clarté. De vrais atouts pour permettre l’immersion du lecteur dans l’intimité des personnages, pour faciliter l’empathie avec eux et mieux faire ainsi émerger l’émotion.

Le choix d’une construction rigoureuse et assez classique, d’une écriture sobre, limpide et fluide, mis au service d’une approche fine, sensible et bienveillante des questionnements, de la crise ou des bouleversements qui chahutent les personnages, permet à Marie Vautier d’aller droit à l’essentiel avec efficacité. On perçoit en outre dans ces saynètes tragiques ou divertissantes une confiance forte de l’écrivaine en l’espèce humaine et la conviction que notre destin est entre nos seules mains. Un  postulat initial humaniste et positif qui se fait aujourd’hui assez rare pour être souligné et apprécié. 

Dominique Baillon-Lalande 
(16/08/19)    



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Marie VAUTIER, Écoute-le battre
Quadrature

(Octobre 2018)
144 pages - 16 €


















Marie Vautier
vit en région parisienne. Après avoir travaillé dans la presse et l’édition, elle enseigne et anime des ateliers d’écriture pour enfants et adultes. Elle a déjà publié un premier recueil, La roue du silence, chez le même éditeur.