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Marie-France VERSAILLES


Trop de choses à se dire


Huit nouvelles. Jean-Christian Verdier, le personnage d’ouverture du recueil, dépressif depuis le départ de sa femme avec leurs deux enfants, postule pour s’en sortir via une agence d’intérim (et l’idée est originale) à l’emploi d’homme de ménage pour des particuliers. « Appelez-moi Jean- Christian, avait-il dit à la dame qui lui ouvrait la porte, petite jupe droite, débardeur bleu. Il ne lui avait pas laissé le loisir de s’étonner, il ne fallait surtout pas que la porte se referme devant lui. Il avait souri. Gentiment. Juste le temps de se glisser à l’intérieur pour laisser la porte retomber. Derrière lui. – Vous attendiez mon épouse, je sais. Elle est en dépression. Je me suis permis – un nouveau sourire, comme une excuse – de me présenter à sa place. Ne craignez rien, j’apprends vite. Mais si cela vous gêne, un homme de ménage, je ne vous en voudrai pas. Je comprendrai.» (Jean-Christian chez lui chez les autres). Le lecteur le recroisera à l’occasion dans quatre autres nouvelles. Ainsi dans Clémence ou la passion des vagues avec le beau personnage de l’employée qui a accompagné Jean-Christian dans ses recherches à l’agence avec bienveillance brisée par l’internement de son grand fils. Après avoir démissionné, celle-ci s’est retirée dans une petite maison en bord de dune où une belle rencontre pourrait bien changer la donne. Certains des employeurs occasionnels de l’homme de ménage deviendront également personnage central d’une nouvelle. Ainsi la petite vieille de quatre-vingts ans que l’on retrouve un jour de canicule dans son appartement au bord du malaise sauvée par un jeune homme (Le bain de Juliette) ; Le prof de science à la retraite collectionneur d’objets anciens qui tente d’échapper à la solitude au restaurant en volant des bribes de conversations dont une pourrait bien faire basculer sa vie (Armand à la recherche de l’objet rare) ; Fiona, dont les frères s’inquiètent pour leur vieux père qu’elle-même n’a pas vu depuis longtemps, surprise une fois sur place de trouver un homme nouveau, en pleine forme, entouré d’amis – dont Georges qui a bénéficié un temps de l’aide ménagère de Christian – et de complices de son âge investis dans un projet d’hébergement de familles de réfugiés. « Plus rien ne colle. Elle ne sait plus quel crédit octroyer à sa mémoire. Comment choisit-on les souvenirs que l’on garde, que l’on thésaurise, que l’on rhabille au fil du temps pour le pire et le meilleur ? Qui tient les commandes dans la tête occupée sans cesse à réécrire l’histoire ? » (Fiona et son père)
Cette dernière nouvelle réintroduit en personnage secondaire Jeanne du Secret de Jeanne, une grand-mère à qui son petit-fils a su faire oublier cette sœur "attardée" qui a vampirisé sa vie et qui ouvre sa maison aux réfugiés.
Deux nouvelles restent complètement indépendantes de ce tissage, si ce n’est par les sujets partagés de l’âge et la rencontre, Moi toute seule où Alice, jeune fille sérieuse et réservée élevée par sa mère se retrouve obligée pour des raisons financières d’abandonner ses études d’infirmière pour rester aide-soignante dans la maison de repos pour personnes âgées où elle a fait son stage et Le cahier rouge où Laura, grand-mère qui se rend plusieurs fois par semaine voir sa sœur dans une unité de soin, revient de plus en plus affectée de ces visites à cette femme « absentée » qui n’est plus que le reflet de celle à laquelle elle était si attachée.

 

       Ces gens semblables à ceux que nous pouvons rencontrer tous les jours, ou à nous-même, sont envisagés par Marie-France Versailles, ancienne psychologue dans un centre de santé mentale bruxellois puis journaliste, avec bienveillance et respect. Le thème de la vieillesse et de ses corollaires (maladie, deuil, solitude) se trouve ici intelligemment et très dynamiquement croisé avec celui de la rencontre qui toujours bouleverse l’ordre établi et esquisse un devenir possible. Si survivre et communiquer sont difficiles pour ceux que le destin a malmenés, le hasard quand il s’en mêle peut ouvrir de nouvelles portes sur l’avenir et réveiller l’espoir. Certaines tentatives s’avèrent fructueuses, d’autres non, mais la condamnation à la solitude non choisie n’est jamais à perpétuité et offre des remises de peine quand on sait les saisir : un enfant qui a besoin de vous, un voyage qui se présente, une femme, un homme  qui renvoient les souvenirs au grenier et repoussent les murs de la forteresse où l’on s’est réfugié  éveillant en vous l’envie de l’accompagner vers l’inconnu, tout cela vient rebattre les cartes et réveiller l’appétit.
Ce qui fait la qualité de ce recueil c’est cette conjugaison de l’intériorité des personnages, le profil psychologique et émotionnel bien que très succinct en raison du format de la nouvelle est néanmoins précis et évocateur, et du rapport à l’extérieur, les autres mais aussi l’actualité à travers des thèmes de l’intérim, des migrants, de l’homosexualité, du vieillissement ou des rapports de filiation. Dans cette combinaison efficace, Alice (Moi toute seule), Clémence (Chez moi chez les autres, La passion des vagues) et Armand (À la recherche de l’objet rare) m’ont particulièrement émue.

Le titre est en lui-même une annonce de ce qui tient ensemble le recueil : les mots, le langage et cette communication interindividuelle qui nous permet d’exister même si entre le "trop" et le "pas assez" l’équilibre est parfois difficile et la frontière toujours infiniment fragile.

Un recueil émouvant et cohérent qui nous livre en toute simplicité mais avec justesse et tendresse une tranche d’humanité.

Dominique Baillon-Lalande 
(13/05/19)    



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Lectures







Marie-France VERSAILLES, Trop de choses à se dire
Quadrature

(Février 2019)
144 pages - 16 €


















Marie-France Versailles,
psychologue et journaliste, a déjà publié un roman et Trop de choses à te dire est son deuxième
recueil de nouvelles.


Bio-bibliographie
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