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Jessie BURTON

Les secrets de ma mère



Un roman construit autour de trois femmes – Constance, Elise, Rose – qui se déroule sur deux époques, les années 80 et aujourd’hui, et brasse de nombreux thèmes : l’amour la jalousie, la quête d’identité, la passion pour l’écriture, le monde hollywoodien…

La première scène a lieu dans un parc londonien en 1980 où Elise, vingt ans, attend un homme pour un rendez-vous arrangé par son colocataire. « En fin de compte, le type n'était jamais arrivé et alors qu'elle s'éloignait d'une clairière dans les derniers rayons rasants du soleil, Elise aperçut une femme devant un bosquet d'arbres, leur feuillage couleur cannelle dans le ciel turquoise. Les arbres paraissaient immenses comparés au corps de la femme, mais le rapport de taille était pourtant correct. Telle une tiare gigantesque et magnifique, ils donnaient à la femme des allures de reine, ou de déesse de la Nature. Elle observait Elise à travers l'étendue de paysage, salua sa présence d'un sourire comme si Elise était un page au sein de sa cour, un individu chanceux qui s'attirait l'attention de sa maîtresse. »
Nous sommes à la première page mais tout est dit (ou presque) de la relation qui va s’instaurer entre les deux femmes. Des allures de reine, un page au sein de sa cour, un individu chanceux…
Elise a une beauté naturelle mais « malgré les regards scrutateurs, elle s’était toujours sentie invisible, jusqu’à ce que Constance Holden pose les yeux sur elle, devant les arbres cannelle de Hampstead Heath. »
Constance Holden, trente-six ans, est écrivaine et un de ses romans, Cœur de cire, connaît un grand succès. Elise Morceau est serveuse dans un café, ouvreuse dans un théâtre et modèle vivant au Royal College of Art.
Elles se donnent rendez-vous pour dîner le samedi suivant. Entre temps, Elise lit Cœur de cire, « un texte intense, dur, passionné, rempli de phrases qu’elle avait envie de souligner ». Le samedi, elle boit beaucoup trop et se réveille le dimanche matin chez Constance sans se souvenir de ce qui s’est vraiment passé.
L’écrivaine à succès et le joli modèle, un couple qu’on va suivre sur plusieurs années, une relation complexe et passionnée qui les emmènera à Hollywood pour l’adaptation de Cœur de cire au cinéma.  Elise aura du mal à trouver sa place dans cet univers impitoyable où l’argent et le succès déterminent la nature des relations, où elle va exister dans l’ombre et le sillage de l’écrivaine, ne pouvant compter que sur sa jeunesse et sa beauté.

Page 30, nous voici propulsés en 2017 et accueillis par une première phrase radicale : « J’avais quatorze ans quand j’ai tué ma mère ». Celle qui parle ainsi s’appelle Rose et n’a jamais vraiment connu sa mère. Pour survivre à l’école, elle inventait sans cesse des histoires jusqu’au jour où elle a préféré la déclarer morte, c’était plus simple.
« Tout ce que je savais de ma mère, je l'avais appris de mon père : elle s'appelait Elise Morceau, elle m'avait eue très jeune, quand ils vivaient à New York. Et elle était partie, trente-quatre ans plus tôt, avant mes un an. »
Et c’est donc quand Rose a trente-quatre ans, en 2017, que son père finit par lui révéler le peu qu’il sait en lui donnant deux livres de poche, Cœur de cire et Lapin vert de Constance Holden.
 « Avant que je rencontre ta mère, poursuivit-il en croisant les doigts pour former un poing, Constance et elle – elles étaient ensemble. […]
– Ma maman était lesbienne ?
– Je ne sais pas, Rosie. Peut-être que oui. Pendant un temps, elles sont restées inséparables. Enfin, disons que – on t'a eue, toi, alors je ne peux pas... l'affirmer.
– Donc elle était bisexuelle ?
– J'imagine qu'on peut dire ça comme ça. »
Rose ne va pas se contenter de ces informations, elle veut savoir qui était sa mère et ce qu’elle est devenue.
La dernière à l’avoir vue serait Constance Holden. Rose va trouver le moyen de se faire embaucher, sous un faux nom, par l’autrice qui vit à l’écart du monde, refusant toutes les visites et interviews. À soixante-treize ans, ses doigts sont gagnés par l’arthrose et il lui faut une assistante pour saisir ses textes.
Une relation étrange va s’instaurer entre la vieille dame au tempérament bien trempé et Rose qui veut apprendre le plus possible sans pouvoir poser beaucoup de questions.

Les deux histoires se développent en chapitres alternés autour de la figure magistrale de cette écrivaine secrète et totalement centrée sur son écriture. Face à elle, Elise, amoureuse et fascinée, cherche sa place tandis que Rose, rusée et déterminée, cherche à percer son intimité.

L’ensemble compose un roman passionnant où le lecteur est remué par des émotions contradictoires, selon que les personnages s’aiment, s’apprivoisent, se jalousent ou se déchirent.
Rose cherche à savoir qui est sa mère alors que le lecteur se demande qui peut bien être son père et comment un homme a pu se glisser dans l’histoire de Constance et Elise. Mais Rose et le lecteur partagent la même question : qu’est devenue Elise ? Constance connaît peut-être la réponse. Mais elle n’est pas portée sur les confidences…

Au cœur du roman se situe aussi le rapport à l’art, ici l’écriture comme l’était la peinture dans le précédent roman de Jessie Burton, Les filles au lion, la relation entre l’art et la vie, l’artiste et son existence personnelle, l’interaction entre le ressenti et l’exprimé, ce que l’artiste (des femmes dans les deux cas) met d’elle-même dans ce qu’elle crée, comment une passion amoureuse interfère ou non avec une passion artistique.
En trois romans, Jessie Burton construit une œuvre exigeante autour de figures féminines fortes, bien décidées à aller au bout de leurs passions, en brisant les cadres censés les contenir. Rien n’a plus d’importance que d’aller au bout de soi-même, se cherchant et se découvrant au contact des autres, sans se soumettre à un conformisme contraignant.
Quand, en plus, l’écriture est à la hauteur du projet, le résultat est un grand bonheur de lecture.

Serge Cabrol 
(24/09/20)    



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Gallimard

(Septembre 2020)
512 pages - 23 €


Traduit de l’anglais par
Laura Derajinski












Jessie Burton
née à Londres en 1982, écrivaine et comédienne,
a remporté un succès international avec son premier roman, Miniaturiste.









Découvrir sur notre site
le précédent roman
de Jessie Burton :


Les filles au lion