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Dave EGGERS

Le Capitaine et la Gloire


Après les quatre années que viennent de vivre les États-Unis, c’est avec la philosophie du Figaro de Beaumarchais, « Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer », qu’il faut aborder le livre satirique de Dave Eggers. Son Capitaine élu pour gouverner la Gloire n’a rien à envier au président tweeteur.

La Gloire est ici un vaste paquebot, mais surtout une métaphore des États-Unis. « Parmi les citoyens du navire se trouvaient des charpentiers et des enseignants, des peintres, des professeurs et des plombiers, qui avaient rejoint le vaisseau des quatre coins de la planète. Ils n'étaient pas toujours d'accord sur tout, mais ils partageaient une histoire de plusieurs siècles durant lesquels, ensemble, ils avaient affronté la mort et la naissance, les splendides levers de soleil et les nuits de malaise, la guerre et le chagrin, le triomphe et la tragédie. À travers ces épreuves, ils avaient développé le sentiment qu'ils formaient un patchwork d'humanité, une courtepointe folle et irrégulière, pleine de couleurs et de contradictions, mais qui ne voulait être ni désunie ni déchirée. »

Au moment où commence ce roman, l’ancien Capitaine prend une retraite bien méritée après avoir parfaitement dirigé le navire, « avec bonté et sang-froid », « que les mers fusent agitées ou tranquilles ».
Après son départ, il faut donc procéder à son remplacement. Une douzaine de membres de l’équipage auraient les qualités nécessaires pour prendre la relève. Lequel choisir ?
« Tandis que les passagers envisageaient qui, de ces personnes qualifiées, pourrait prendre la barre, l'un des passagers se fit entendre.
– Je vais le faire, dit-il haut et fort, d'une voix à la fois aiguë et rauque.
Cet homme était corpulent, un peu voûté, et portait une plume jaune dans les cheveux. Les passagers le connaissaient bien. Ils savaient que c'était le type qui vendait des souvenirs bon marché près du golf miniature, qui avait emprunté de l'argent à tous les adultes du navire ainsi qu'à certains adolescents, qui avait escroqué les péquenauds en les dupant au bonneteau et en vendant chat en poche, qui ne sortait pas les jours de vent ou de pluie (parce que l'effet sur sa plume était catastrophique) et qui racontait à peu près tout ce qui lui passait par la tête.
– J'aime bien ce type, dit un passager. Il raconte tout ce qui lui passe par la tête. »
L’homme à la plume jaune est lié à une clique d’escrocs et de voleurs qui s’empressent de soutenir sa candidature. Affirmant tout et n’importe quoi sans aucune logique, cet homme semble apporter un vent de changement qui ravit une partie des passagers. D’autant plus que sur ce navire, les parents répètent à leurs enfants que « n’importe qui peut s’élever jusqu’au rang de capitaine », c’est le principe de l’égalité des chances quel que soit son milieu d’origine.
« Aux yeux de nombreux passagers, cela paraissait merveilleusement sensé. Pour prouver qu'ils étaient tous égaux, ils devaient, selon cette logique, être dirigés par un abruti notoire. »
Et voilà l’escroc à la plume jaune élu Capitaine.

À partir de là, s’enchaînent les pires absurdités, montant des catégories de passagers les unes contre les autres, certaines devant même être jetées à la mer.
Et se pose aussi la question de ceux qui s’efforcent de rejoindre le navire, entassés sur des embarcations de fortune, pour monter à bord comme cela se faisait fréquemment jusque-là.
« Ce système avait donc fonctionné depuis l'époque ancienne de la construction du navire : de nouveaux venus étaient arrivés, avaient été accueillis et avaient enrichi la culture aux multiples facettes du navire, dont ils avaient contribué à garantir la croissance, la prospérité et l'expansion. » Mais le Capitaine décide qu’il n’y a plus de place sur le navire. Il fait tirer au canon sur les canots pneumatiques et autres radeaux puis, faute de boulets, avec des lances à eau. Il trouve même l’idée si divertissante qu’il fait payer les gens pour assister au spectacle.

Constatant un jour que le bateau n’avance plus, il en cherche la raison et sa file lui rappelle qu’il a licencié tout l’équipage. Il faut donc en constituer un nouveau mais sans reproduire les erreurs du passé. « Du fait qu'il se méfait de toute personne ayant déjà eu l'occasion de travailler, le Capitaine effectua son choix avec prudence, s'assurant que toute nouvelle recrue en charge d'une partie du navire n'ait jamais vu cette partie du navire auparavant. » Evidemment, les résultats sont surprenants.

Mais, justement le Capitaine aime surprendre. Tous les matins (faute de Tweeter) il écrit sur un tableau blanc, à l’entrée de la cafétéria, les pensées qui lui passent par la tête Ses admirateurs adorent et se régalent de cette lecture. « Il écrit comme je parle quand j’ai trop bu, dit un homme, et je trouve ça réconfortant. »
« Parfois, il diffusait des annonces par haut-parleurs et avertissait qu'il déclencherait peut-être une guerre contre un autre navire, puis déclarait quelques heures plus tard à tous les pas­sagers de la Gloire qu'il avait changé d'avis, ou bien qu'il plaisantait, ou encore qu'il n'avait jamais rien dit de tel. » Les passagers qui voulaient du changement sont ravis.

Côté alliances internationales, il ne se fie qu’à ses goûts personnels et décide de se lier d’amitié avec un ennemi de toujours, l’un des pirates les plus notoires et les plus redoutés. « Il était impossible de quantifier toute l'admiration que le Capitaine éprouvait pour le Blafard. Il aimait son physique, sa façon d'être, sa prestance quand il montait à cheval, sa virilité quand il était torse nu, et encore plus sa virilité et sa prestance phénoménales quand il montait à cheval torse nu. »
Le Blafard lui présente Barbe-de-Sang qui arrive sur une litière dorée, paré d’une robe brodée d’or, de gants dorés, de chaussettes dorées, et même de chaussures dorées avec un gland doré. De quoi émerveiller le Capitaine si sensible à l’argent et au luxe. Ses nouveaux amis lui en font connaître un troisième, le Très-Doux, au visage tout rond, qui décore sa ville avec les têtes, tranchées et montées sur des piques, de ses ennemis décapités. Comment le Capitaine pourrait-il imaginer que ses admirables amis puissent envisager de piller son navire ?

De chapitre en chapitre, le personnage ubuesque à la plume jaune ne rate pas une occasion de faire tout et n’importe quoi. Le lecteur en rit comme de toute fable bien écrite tout en déplorant qu’elle soit, malheureusement, si proche de la réalité. Dans la lignée de Molière ou Jarry, Dave Eggers a un talent exceptionnel pour la satire et il ne faut surtout pas manquer cette étonnante et hilarante caricature de celui qui, très satisfait de son bilan, se déclare aujourd’hui prêt pour un second mandat et se considère comme le plus compétent pour diriger le grand bateau. Comme disait le Capitaine de la Gloire : « Nous allons vous faire vivre un voyage que vous n’oublierez jamais ! »

Serge Cabrol 
(19/10/20)   



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Lectures








Folio

(Octobre 2020)
144 pages - 7,50 €


Traduit de l'anglais
(États-Unis)
par Juliette Bourdin


Une vingtaine
d'illustrations de
Nathaniel Russel









Dave Eggers,
né en 1970 à Boston, romancier, nouvelliste, essayiste et scénariste,
a déjà publié une
quinzaine de livres.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia







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