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Teodoro GILABERT


Resurrection Song

Bob Marley, le célèbre chanteur de reggae, mort en 1981, a été aperçu place Tian’anmen, sur un spot de surf en Australie, à Hyde Park, dans un supermarché à Helsinki... Des apparitions dans lesquelles il est difficile de trouver une logique quant à la répartition géographique mais où les lieux de culte semblent privilégiés. Mais est-ce bien lui ou serait-ce la projection d’un hologramme comme Mélenchon l’avait fait lors de la campagne présidentielle de 2017 ?

Ce qui est sûr c’est que ce disciple du Négus Haïlé Sélassié, empereur d’Éthiopie descendant d’une dynastie  rattachée aux rois Salomon et David par la reine de Saba et considéré comme un Messie par les Rastafaris (groupe créé dans les années 30 en Jamaïque sous l'influence du mouvement « Back to Africa » de Marcus Garvey – Noir américain fondateur en 1917 de l’Association Universelle pour l’Amélioration de la Condition Noire – et de Léonard Percival Howel), semble toujours aussi populaire et charismatique. Est-ce grâce à sa célèbre chanson War inspirée du discours prononcé en 1963 par le Négus aux Nations-Unies, à I shot the sheriff devenu succès international grâce à la reprise d’Eric Clapton, ou à Could You Be Loved morceau phare des années 80, peu importe. Tous constatent que ce Jamaïcain, porte-parole des opprimés et moteur de l’exode des Noirs d’Amérique vers l’Éthiopie, parcourant le monde pour chanter et porter la bonne parole, est immédiatement et internationalement reconnu lors de ses apparitions. Les médias s’emballent et la nonciature de Paris est chargée par le pape d’y regarder de plus près. Au final, « Les experts du Vatican – ou pseudo-experts, car ils n’avaient aucune expérience de la chose – étaient formels. Il s’agissait bien d’une résurrection de Bob Marley qui allait forcément être perçu comme un nouveau messie par ses admirateurs. » Malgré l’inquiétude du Saint-Siège quant aux conséquences que cet événement pourrait avoir sur un catholicisme déjà en recul dans de nombreux pays, le pape François décide d’authentifier la résurrection miraculeuse de Bob Marley. Le chef de l’Église catholique serait même ouvert à une rencontre avec Rasta Man. « Aller au-devant de Bob Marley (…) est excellent pour l’image de François auprès des populations des pays du Sud. Avec ce pape, pas besoin de spécialistes en communication, il a le feeling et le tempo. Un Argentin, sûrement un bon danseur de tango ? » Ce miracle offrirait-il à l’humanité l’opportunité d’une nouvelle chance ?

Si à Marseille, Bob a eu un coup de foudre pour la jeune et belle Nadia, étudiante avec laquelle il a partagé son joint lors d’un concert, il se doute que ce n’est pas pour s’amuser que Jah (Jehovah) l’a renvoyé sur Terre et que ses apparitions-disparitions intempestives ne sont pas propices à une relation amoureuse. « Si Jah a permis mon retour sur Terre, il doit bien avoir une intention ? J’ai pourtant l’impression d’être livré à moi-même, sauf quand on me fait disparaître sans prévenir pour une destination que je ne choisis jamais. » « J’attends un message clair de celui qui m’a envoyé sur cette Terre malade de partout, je vois bien que pour l’instant je n’ai rien semé d’autre que du désordre. » Mais il ne perd pas espoir que sa requête auprès de Jah – « J’irai rencontrer le pape mais d’abord je veux voir Nadia. C’est avec elle que je ferai ce que je dois faire. » – soit entendue et acceptée. 

De son côté, Nadia, subjuguée par le personnage et consciente du caractère divin de celui qui l’a séduite, est persuadée que son trouble amoureux est partagé et qu’il lui suffit d’attendre avec confiance pour qu’il réapparaisse auprès d’elle. La suite lui donnera raison. Très vite la femme de tête au corps de rêve épaulera le revenant un peu dépassé par les événements pour donner sens à sa résurrection. Elle se donne pour objectif de faciliter la rencontre de son amant avec le pape François puisque celui-ci aurait, dit-on, fait part de son accord pour le recevoir si la demande lui en était faite. « Bob et François pourraient ramener la paix sur la Terre », Nadia en est convaincue.Marc Lamy, l’employé de la nonciature à Paris qui s’occupe de cette affaire en relation avec les agents de la diplomatie du Saint-Siège, servira d’intermédiaire.  

Pour la suite, la jeune femme envisagerait bien une intervention de Bob à la tribune de l’ONU, rêvant que ce joker inattendu parvienne à faire consensus autour de nouvelles pistes d’action aptes à faire régresser les problèmes sociaux et géopolitiques essentiels, universels et urgents qui minent le monde actuel.     

 

               Ce roman de Teodoro Gilabert, on l’aura compris, n’est pas une autobiographie ou un biopic de plus sur le célèbre artiste disparu dont l’auteur avoue apprécier tout particulièrement Redemption Song. Bien que chaque chapitre soit nommé d’un titre de chanson du Rasta Man et que quelques données biographiques (relations avec sa femme, certains de ses onze enfants, la musique et l’argent) s’y retrouvent dispersées, l’artiste n’est pas le vrai sujet du récit. C’est le mythe même d’un Bob Marley adulé dans le monde entier, sur tous les continents, dans les pays pauvres comme dans les pays riches, connu par toutes les générations et tenu de son vivant déjà pour prophète, qu’il utilise comme moteur pour un scénario plus ambitieux visant à alerter sur l’état d’une planète Terre malade et agressée de toute part. Qui pourrait plus justement que ce revenant, cette icône universelle dont Manu Chao disait qu’ « un T.shirt à son effigie était plus efficace pour traverser les quartiers chauds qu’un gilet pare-balles », incarner à la fois la lutte contre l’oppression, la ségrégation, la domination et l’appel à l’amour universel ?
 
Qui mieux que ce fils de planteurs caribéens, catholique par sa mère et d’une famille de juifs syriens naturalisée anglaise par son père, cet artiste qui commençait chacun de ses concerts par un hommage à Jah Rastafari dont il était perçu comme un prophète, cet homme devenu ici, par la seule imagination de l’auteur, l’amant d’une jeune fille pour sa part non pratiquante mais de famille musulmane et ainsi positionné au carrefour des religions, aurait eu cette légitimité pour rencontrer le pape ? Ce roman n’a pourtant rien de théologique : il ne questionne pas les religions ou le fait religieux mais pointe du doigt la participation de celles-ci dans les troubles qui agitent le monde, leurs liens avec le pouvoir alors que par nature c’est au service de l’humanité, des pauvres, des victimes et de la paix, qu’elles devraient se mettre. C’est là un message en parfaite harmonie avec celui, social et religieux, que Bob Marley portait comme chanteur.  

Deux personnages importants partagent avec Bob le récit : le pape François et Nadia.
À travers le premier, que nous découvrons ici plus ouvert, humain et bienveillant que protocolaire mais aussi fin stratège, c’est un état des lieux lucide voire inquiet et parfois critique de l’Église catholique d’aujourd’hui qui se profile. « Certes j’ai modernisé l’image de la papauté, mais sans changer grand-chose sur le fond, je ne suis pas aussi progressif qu’on le dit. De toute manière, la hiérarchie de l’Église et la communauté des croyants ne m’auraient pas suivi dans une vraie révolution. » « Je sais qu’à Rome, j’aurai de la peine à obtenir le soutien de mes collaborateurs, voilà pourquoi ils ne connaîtront rien de mes intentions. Nous allons profiter l’un de l’autre pour élargir et renforcer l’audience de notre discours. Je peux me tromper mais je pense qu’il est la seule personne susceptible d’être écoutée par la jeunesse du monde entier. Je ne suis pas assez naïf pour penser qu’avec lui nous pourrions influencer les dirigeants d’Al-Qaïda ou de l’état islamique, mais si nous pouvions faire en sorte que les jeunes ne les suivent pas, alors ces nébuleuses terroristes s’épuiseraient naturellement. » En phase avec son temps, Teodoro Gilabert, par l’intermédiaire de Marc Lamy, un laïc embauché à la sortie de l’École des chartes par le service diplomatique pontifical, évoque également la présence d’une tolérance certaine à la pédophilie dans le milieu ecclésiastique.

Nadia, jeune femme de milieu populaire issue de l’immigration parvenue à l’université, musulmane par sa famille et athée par choix, est éprise de liberté, combative, joyeuse, audacieuse et passionnée. Elle trouve chez cet amoureux étrange un écho à ses propres convictions quant à la paix dans le monde et la justice sociale. C’est une forte personnalité qui, au-delà de l’amour qu’elle partage avec cette idole charismatique, à travers cette histoire se révèle. Cela tombe à pic car le pauvre Bob, envoyé sans concertation ni consignes claires par Jah dans le monde qu’il a quitté il y a trente ans, se sent assez perdu. Cette rencontre sera donc pour elle l’occasion unique et inespérée, en le soutenant et l’accompagnant dans sa mission, de contribuer à sa réussite et aux luttes qui lui tiennent à cœur. Ne pourrait-on pas voir dans ce beau personnage qui partage l’humanisme dont Bob Marley était un messager et qui fait ici sien son combat, une exhortation à continuer la lutte, et l’expression chez l’auteur d’un investissement dans la jeunesse comme seul espoir pour défendre notre planète en péril et notre société qui craque de toute part ?       

Derrière sa liberté narrative, son apparente légèreté et sa loufoquerie, Resurrection Song est un récit décalé qui évoque avec humour une question contemporaine sérieuse : la gestion politique, sociale, religieuse et environnemental d’un monde devenu fou. Cette farce originale qui joue avec drôlerie et impertinence avec la réalité, ne manque ni de surprises, ni de réflexion, ni de saveur. À déguster, bien sûr, accompagné d’un CD du maître du reggae. 

Dominique Baillon-Lalande 
(13/05/20)    



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Lectures








Buchet-Chastel

(Février 2020)
192 pages - 16 €










Teodoro Gilabert,
né en 1963 à Valence,
en Espagne, professeur d’histoire et géographie
à Pornic, est l’auteur
de plusieurs romans.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia





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