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Valentine IMHOF

Zippo

Dans un bar de Milwaukee, Ted attend Eva. Elle avait été la seule, cachée derrière son loup noir, à ne jamais avoir eu peur de ses cicatrices ni de ses excès quand il l’avait initiée à la soumission. Ils avaient partagé plaisirs et fascination pour le feu et s’étaient tout donné jusqu’à ce qu’elle disparaisse, il y a neuf ans. Quelque chose de puissant et de définitif avait été scellé entre eux lui laissant la certitude d’un retour à venir. Quelquefois, sous le masque des femmes blondes qu’il croisait dans les lieux nocturnes qu’ils avaient autrefois fréquentés ensemble, il avait cru la retrouver. Il les conduisait alors au parc mais, déçu dès qu’il se rendait compte de son erreur, il aspergeait les usurpatrices d’essence avant de les immoler avec son Zippo. Le cadavre au visage calciné abandonné sur le banc où ils s’étaient installés quelques instants auparavant étaient comme un message adressé à celle qui ne pouvait l’avoir oublié.
Un tableau qui soulèvera le cœur des lieutenants Larstöm et McManara de la Brigade criminelle de Milwaukee chargés de l’enquête. Le médecin légiste ne traînera pas à livrer ses conclusions : mort par étranglement avant la crémation, aucune trace de sévices sexuels ou de viol. Les mégots et les rares traces relevées sur la scène du crime n’apporteront de leur côté rien d’exploitable.

Mia Larström, jeune femme à laquelle un passage par l’armée a donné un corps musclé et endurant, a intégré la police de Milwaukee depuis peu. Face à cette lieutenante belle et solitaire mais froide, distante et facilement cassante, brillante et visiblement intelligente mais dotée d’un caractère bien trempé, les hommes de sa brigade sont partagés entre la fascination et la méfiance. Son coéquipier dans cette affaire, Peter McNamara, est son exact contraire. C’est un homme extraverti, blagueur et libertin qui chaque matin distrait l’équipe avec le récit de ses prouesses sexuelles de la nuit auprès de partenaires à chaque fois différentes. Une attitude propre à lui valoir sympathie, admiration et envie dans ce milieu essentiellement masculin et machiste. C’est donc sans enthousiasme que cet équipage contre nature, plus tendu que complice, va provisoirement (ou apparemment ?) faire la paix afin de mener à bien l’enquête sur ce meurtre affreux sur lequel ils n’ont pour l’instant pas la moindre piste. Tandis que le Casanova, amusé par ce défi, tente de profiter de cette occasion pour séduire Larström et la mettre dans son lit, au plus grand agacement de celle qui préférerait pister en solo le tueur de blondes pyromane qui rôde en ville, au commissariat, en parallèle et clandestinement, d’autres cèdent à la tentation de les doubler en menant leur propre enquête pour prouver leur valeur et obtenir ainsi une promotion.
Il faudra un peu de temps et une deuxième victime pour que le tandem mal assorti trouve son positionnement et que, fort laborieusement, l’enquête avance. Un club sadomasochiste local fréquenté par les victimes semblerait trouver place dans ce château de cartes qui s’élabore.  
Après l’étudiante de vingt-deux ans et la DRH de trente-huit, voilà la troisième victime, une serveuse topless de vingt-huit. Et ils n’ont toujours à se mettre sous la dent qu’un lieu, le Lincoln Park où se sont déroulées les trois crémations, sans le moindre indice sur le meurtrier en série qui officie. C’en est trop, le Maire qui dans cette période électorale craint pour sa réélection fait pression sur le chef de la police, Johnson, pour qu’il trouve le coupable rapidement. Celui-ci n’a donc plus qu’à demander à ses supérieurs du renfort pour sortir l’enquête de l’impasse où elle semble s’embourber. Hugh Mitchell, un as du profilage envoyé par la division locale du FBI, arrive sur place le lendemain pour sauver la situation avec Larström, McNamara et l’ensemble de l’équipe mise à sa disposition. Mais rien ne se déroulera comme prévu et chacun, lesté de son passé, ses secrets, ses obsessions et ses traumatismes, devra dans cette course contre l’horreur composer avec ses fantômes avant même de retrouver le tueur.
Le récit pas à pas de cette traque policière du tueur en série de la découverte de sa première victime (mais peut-être qu’en cherchant bien on pourrait lui en attribuer une ou deux autres plus anciennes ou ailleurs...) à son troisième meurtre à Milwaukee, la plongée dans le passé et la tête du criminel qui se surnomme lui-même Prometheus et celle dans l’univers traversé de rivalités, de misogynie et de frustrations personnelles du commissariat à travers ses divers protagonistes, constituent la chair de ce roman.

      
             L’enquête et l’intrigue sont ici faciles à appréhender et l’histoire personnelle de chacun qui prend rapidement le dessus sur l’aspect policier de cette chasse à l’homme semble de fait le vrai matériau de Valentine Imhof. Chez elle, ce sont les personnages qui portent l’histoire et chacun se définit par son passé et les cicatrices qu’il en garde. Les protagonistes principaux sont tous rongés par de lourds secrets et dégagent une ambiguïté parfois malsaine, une instabilité et une potentielle dangerosité déstabilisantes qui se substituent au suspense pour mettre le roman sous tension permanente. Chaque nouveau chapitre, centré sur l’un ou l’autre des personnages, vient apporter sa pièce au puzzle de cette sombre histoire vite devenue incontrôlable. La figure de l’homme handicapé suite à un terrible accident au cours duquel toute son équipe fut atrocement décimée qui transforme la culpabilité d’avoir survécu en forgeant au feu du chalumeau des silhouettes métalliques géantes à l’effigie des disparus, est ainsi une image aussi forte et émouvante qu’effrayante, et le reste est à l’avenant. Ici, les pulsions autodestructrices et la folie se tiennent à chaque instant en embuscade. Le choix de l’auteure d’introduire dans son enquête des personnages secondaires plus légers ou parodiques dont les gesticulations presque bouffonnes peuvent prêter à sourire, vient ponctuellement offrir des moments de respiration qui n’en sont que plus salutaires et bienvenus.

Comme l’illustre la couverture, dans ce polar mélangeant feu et latex tout se joue sur fond de sadomasochisme. Le feu est ici central et omniprésent, lors des scènes de meurtre au Zippo bien sûr mais aussi pour transformer le métal en revenants, pour effacer les indices d’une scène de crime, pour purifier, punir ou détruire. Plus singulièrement (mais le verbe brûler n’est-il pas souvent associé à l’amour ?) il s’invite aussi de façon métaphorique dans le plaisir comme dans la douleur. Fascinante alliance de la beauté et du danger, il est ici partout et règne en maître, comme pour incarner la fureur de la passion qui lie Ted et Eva ou la souffrance, la folie et l’enfer dans lesquels les personnages se sont enfermés.    

Outre ses personnages forts et angoissants, c’est l’intensité émotionnelle de l’écriture brute, sans fausse pudeur ni sensationnalisme, de Valentine Imhof qui rend ce roman aussi intense, incandescent et prenant. Des dialogues nombreux, un rythme nerveux, une poésie vénéneuse flirtant à l’occasion avec l’érotisme, des mots crus, des clins d’œil vers les mythes et quelques pointes d’humour, tels sont les ingrédients de ces quarante chapitres courts, percutants, parfois dérangeants, qui se découvrent sur une bande-son électrique dont l’auteure nous livre l’abondante playlist à la fin du livre. La fin à deux coups est sublime de noirceur et d’habileté.      

Dans la même veine que Par les rafales, le premier roman choc de l’auteure,ce roman choral charnel, obsessionnel et violent, constitue une vertigineuse plongée dans l’âme humaine et confirme le talent de Valentine Imhof à créer des personnages de femmes aussi puissantes que dévastées, aussi bouleversantes qu’effrayantes. Un livre tourmenté et parfois dérangeant pour amateurs d’émotions fortes.

Dominique Baillon-Lalande 
(03/03/20)    



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Noir & polar







Rouergue Noir

272 pages - 20 €














Valentine Imhof,
née en 1970 à Nancy, s'est fixée en 2000 à Saint-Pierre-et-Miquelon où elle est professeure de lettres. Elle est l'auteure d'une biographie d'Henry Miller, La Rage d'écrire (Transboréal, 2017)
et d'un premier roman,
Par les rafales
(Rouergue, 2018).



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son premier roman :


Par les rafales