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Samir MACHADO DE MACHADO

Tupinilândia



Avec ce roman d’aventures et roman politique, l’auteur brésilien nous entraîne au cœur de la forêt amazonienne à deux époques différentes, d’abord au début des années 80 et ensuite de nos jours, dans un vaste complexe de loisirs, Tupinilândia, à la fois ville et parc d’attractions.

Cette ville fantastique (et imaginaire) trouve ses racines dans deux expériences bien réelles. Tout d’abord, Fordlândia (voir la page Wikipédia), une ville-usine créée par Henry Ford en 1928 en pleine forêt vierge pour exploiter le caoutchouc naturel nécessaire pour la fabrication des pneus et abandonnée peu après. Henry Ford aurait perdu vingt millions de dollars dans l’aventure.
Et d’autre part, les grandes réalisations de Walt Disney, Disneyland (Californie) en 1955 et Disneyworld (Floride) en 1971. Le rêve, l’enfance et la magie à l’échelle industrielle. 

Ici, le promoteur de cette gigantesque utopie est l’héritier de l’immense fortune constituée par son père, Amadeus Severo Flynguer, un électricien américain venu au Brésil à l’invitation d’un cousin, qui a su profiter de l’électrification du pays au début de XXe siècle pour créer sa propre compagnie et investir ensuite « dans tous ce qui allait avec : les transports, le télégraphe, le téléphone… » La société Flynguer & Cie « se diversifia et étendit ses activités à toute la région Sud, qui englobait à l'époque São Paulo et Rio de Janeiro, en commercialisant aussi des articles de luxe, de l'électroménager, des ventilateurs, des calculatrices – tout ce qui était synonyme de technologie et de modernité. Et dans le divertissement, cela signifiait le cinéma. »
C’est cette diversification et la création de salles de cinéma ultramodernes qui ont permis au fiston, João Amadeus, alors âgé de dix-huit ans, de rencontrer Walt Disney venu faire une tournée au Brésil en 1941. Après la mort de son père, João a poursuivi l’essor de l’entreprise en se développant dans le domaine du bâtiment et des travaux publics. La fortune, elle aussi, n’a jamais cessé de croître.

Tout cela, nous l’apprenons dans un prologue d’une trentaine de pages grâce à un journaliste, Tiago, qui a interviewé João en 1981 et obtenu le récit détaillé de cette rencontre avec Disney er les équipes de dessinateurs qui l’accompagnaient.

En 1984, Tiago est à nouveau contacté par João Flynguer pour écrire un livre sur un vaste projet en cours d’achèvement. C’est alors que le journaliste entend parler pour la première fois de Tupinilândia, un vaste complexe construit secrètement dans la forêt amazonienne comprenant plusieurs parcs à thème et une ville susceptible d’héberger des centaines d’employés et des milliers de visiteurs. João a maintenant soixante ans et, depuis plusieurs années, ne s’intéresse plus qu’à l’élaboration et la construction de Tupinilândia.  Il a deux enfants, Héléna et Roberto. C’est Héléna, mère elle-même de deux enfants, qui a repris, avec beaucoup d’énergie et de fermeté, la gestion de l’immense groupe Flynguer. Roberto, que connaît bien Tiago, profite de la vie et de l’argent, officiellement responsable du divertissement et du cinéma.
Tiago, pour pouvoir écrire le livre qui lui a été commandé, est invité à l’inauguration de Tupinilândia avec la famille Flynguer au complet et tous ceux qui ont participé à l’élaboration et la construction du complexe.
C’est cette visite qui constitue la première partie du roman sur près de trois cents pages.

1984, c’est la fin de la période de dictature militaire qui règne sur le pays depuis vingt ans. Le pouvoir doit être remis aux civils à la suite d’une élection démocratique et le nouveau président pourrait venir en personne à l’inauguration de Tupinilândia.
C’est là que le roman mélange aventures et politique.
Beaucoup de nostalgiques de la période fasciste ont du mal à admettre la transformation démocratique du pays, le transfert du pouvoir aux civils et les inévitables poursuites judiciaires pour les monstrueuses exactions commises depuis vingt ans.
L’inauguration de Tupinilândia est l’occasion idéale pour une opération militaire.
Tiago et la famille Flynguer vont se trouver au cœur d’une aventure que ne renierait pas Indiana Jones…

Pour la deuxième partie, nous nous retrouvons trente ans plus tard, et des archéologues ont obtenu une bourse pour aller voir ce qui reste de Tupinilândia, cette vieille utopie des années 80 abandonnée dans la forêt amazonienne. Une petite équipe de spécialistes constituée autour d’Artur, archéologue et professeur à l’université, se rend sur place pour étudier, photographier et cartographier les vestiges de cette ville artificielle coupée du monde.
Ce qu’ils découvrent est une sacrée surprise et Indiana Jones se trouve plongé dans un univers digne du roman de George Orwell, 1984.
Là encore, l’aventure est au rendez-vous pour le plus grand bonheur du lecteur.

Ce roman brasse de nombreux thèmes : la dictature, la nostalgie du nationalisme et du totalitarisme, les années Sida, l’extermination des Indiens (le parc comprend un Musée de la Honte), les atteintes à la forêt amazonienne, l’importance du travail de mémoire (journalisme, écriture de fiction, archéologie) et tant d’autres encore… Tout cela mené de main de maître par l’auteur avec beaucoup d’érudition, de verve et d’humour. Les aventuriers au pays des utopies, une véritable fresque pleine de rebondissements, de bruit et de fureur.

Serge Cabrol 
(01/10/20)    



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Métailié

(Septembre 2020)
512 pages - 23 €

Version numérique
14,99 €


Traduit du portugais
(Brésil)
par Hubert Tézenas
















Samir Machado
de Machado,

né au Brésil en 1981,
est écrivain, scénariste, graphiste et traducteur. Tupinilândia est son premier roman traduit en français.