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Colum McCANN


Apeirogon


On a parfois peur de résumer un livre. On se dit qu’on va lui retirer de son intérêt, que le lecteur n’aura plus rien à découvrir. Avec le dernier livre de Colum McCann, aucun risque de ce genre : on peut le résumer, rien ne lui retirera de son intérêt car le roman est au-delà, est ailleurs. Il est dans le champ de la forme, de l’évocation, de la poésie. Il est peut-être dans la géométrie comme l’évoque son titre, Apeirogon, c’est-à-dire « une forme possédant un nombre dénombrablement infini de côtés. »

Oui, c’est cela ce livre. On peut le prendre par le début, par la fin, par le milieu, on a toujours d’infinis côtés à découvrir. Il est d’ailleurs construit par fragments chiffrés, lesquels vont de 1 à 500 puis de 500 à 1. On peut ainsi glaner, se promener dans ce flux et ce reflux, tout converge infiniment vers la même histoire, celle de deux pays : Israël et Palestine.

Mais on devrait plutôt dire les histoires car Apeirogon s’empare de toutes les histoires que ces pays ont en eux. L’histoire du Mur qui les sépare aujourd’hui par exemple. D’où viennent ses briques ? Qui les a construites avant même la construction du mur ? Qui, au fond, a permis que cette construction existe ? Et les frontières ? Que peuvent nous en dire les oiseaux qui les survolent depuis des siècles, eux que des bergers palestiniens, jadis, chassaient à coup de ces pierres qui servent désormais à viser l’ennemi ? Et les balles ? Et les bombes ? Ne pourrait-on se demander où, par qui et comment elles ont été fabriquées avant d’être tirées sur une fillette ou d’exploser près d’une adolescente ?

C’est tout cela et bien plus que Colum McCann évoque dans son livre kaléidoscope, comme s’il cherchait l’origine première, la cause première tout en nous démontrant que ni l’une ni l’autre n’existe. Et c’est en cela que son livre est non seulement inclassable mais lumineux puisque, entre Israël et Palestine, ne cherche-t-on pas sans cesse à qui revient la faute, la faute première ? Avec Apeirogon, il n’est plus possible de voir les choses ainsi tant une faute renvoie toujours à une cause qui mène à une autre cause et encore à une autre si bien que s’arrêter sur cette cause-ci plus que sur celle-là devient absurde. Ne faut-il pas plutôt arrêter de mettre les causes dos à dos ?

Les deux histoires qui structurent le livre en sont de merveilleuses illustrations. Rami Elhanan, juif de Jérusalem, a perdu sa fille Smadar dans un attentat à la bombe fomenté par un jeune Palestinien. Bassam Aramin, musulman d’Anata, a quant à lui perdu sa fille Abir d’une balle tirée par un jeune soldat israélien. Et pourtant ni Rami ni Bassam ne veut rejeter la faute sur quelqu’un. L’un et l’autre voient au-delà. Ailleurs. Différemment. Comme ce livre. Ce livre unique qu’il faut avoir lu pour sentir battre en soi l’appel si rare mais si précieux de l’intelligence qui guide vers la paix.  

Isabelle Rossignol 
(05/11/20)    



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Lectures








Belfond

(Août 2020)
512 pages - 23 €

Version numérique
13,99 €

Traduit de l’anglais
(Irlande)
par Clément BAUDE









Colum McCann,
né à Dublin en 1965, vit maintenant à New York. Il a publié trois recueils de nouvelles et six romans.

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