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Ces quatorze nouvelles rassemblées dans Nostalgie d’un autre monde s’appuient indifféremment sur un narrateur masculin ou féminin et expriment majoritairement l’incommunicabilité, les fantasmes et frustrations pesant sur toute relation humaine et plus particulièrement sur le couple, qu’il soit établi, occasionnel ou seulement espéré. L’homme évolue ici en milieu hostile, le rêve américain a du plomb dans l’aile et, on l’aura compris, la bienveillance et l’optimisme n’appartiennent pas au registre choisi ici par Ottessa Moshfegh. Ces personnages désespérément solitaires qui assemblés forment une cour des miracles assez effrayante, en racontent plus ici sur la sauvagerie du monde que sur eux-mêmes. Ils sont les couleurs choisies par l’artiste pour peindre le tableau sans complaisance d’une société courant à sa perte, injuste et violente, ou l’accumulation des déchets fait écho à la prolifération des drogues, où l'obésité, la malbouffe vont de pair avec l'hyperconsommation, la dépression avec la pauvreté. Pour la joie ou le bonheur, le dernier train a quitté le quai il y a longtemps. Parmi ces récits en équilibre entre réalisme et satire, certains pourraient s’apparenter au conte. Des contes philosophiques modernes, cruels, monstrueux, tragiques, et fort probablement interdits aux mineurs pour connotations sexuelles explicites et images pouvant choquer leur sensibilité. La dernière nouvelle, La salle fermée, se singularise dans ce sens par l’absurdité des situations et le décalage avec le réel dans lesquels elle ancre son intrigue y ajoutant un effet comique peu utilisé dans l’ensemble du recueil. Mais Ottessa Moshfegh n’est pas l’auteure du divertissement et du plaisir. C’est la perte des repères, le vide, la pauvreté, le mal-être qu’elle stigmatise dans ses nouvelles et si on peut ressentir à cette lecture alternativement dégoût et gêne, il n’en reste pas moins que la jeune auteure y fait preuve de talent pour créer un univers dont la violence n’est ni complaisante ni gratuite mais significative des dysfonctionnements sociaux et sociétaux qu’elle dénonce, agençant ces divers éléments avec une force, un talent littéraire et une audace telle que le lecteur en ressort absolument fasciné. L’auteure de Nostalgie d’un autre monde n’est pas bien-pensante, elle est féroce et singulière et en cela s’inscrit dans la lignée du Goya des Grotesques ou des caricaturistes de la presse écrite. Si des écrivains contemporains ont aussi utilisé ce subterfuge pour fustiger un homme politique ou un travers sociétal, c’était le plus souvent avec humour et travestissement, comme l’a fait à plusieurs reprises Patrick Rambaud. Ottessa Moshfegh se démarque de ses confrères pour adopter un positionnement radical, plus proche du dessin satirique de presse, ne craignant ni le malaise, ni la cruauté, déterminée à foncer dans le tas avec son bazooka sans la moindre hésitation. Dominique Baillon-Lalande (01/10/20) |
Sommaire Lectures Fayard (Août 2020) 324 pages - 21,50 € Version numérique 14,99 € Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude
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