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NOUVELLE DONNE (collectif)


Le chien attaché au poteau électrique


Ce recueil est dédié à Christian Congiu, cet amoureux de littérature et de nouvelles, fondateur de la revue Nouvelle Donne en 1993 et fédérateur d’énergie autour d’elle jusqu’à son dernier numéro papier en 2004.  2011 sera l’année de la renaissance de la revue sous forme numérique mais aussi celle du décès accidentel de son initiateur.  Ses collaborateurs ont poursuivi seuls l’aventure collective et neuf d’entre eux ont éprouvé le désir cette année de partager leurs mots dans un recueil de vingt-deux nouvelles publié sur papier chez La Chambre d’échos. Anne-Elisabeth Desicy Friedland, Corine Sylvia Congiu, Brigitte Niquet, Léo Lamarche, Sophie Germain, Dominique Perrut, Thomas Friedland, Jean-Michel Calvez, Nathalie Barrié, nous proposent ainsi chacun de deux à quatre nouvelles de leur cru. Qu’elles et ils se consacrent uniquement à l’écriture ou exercent une activité parallèle (ingénieure, plasticienne, traductrice, économiste, musicien, journaliste, traducteurs…) tous connaissent la nouvelle et l’apprécient à sa juste valeur et cela se sent. Ne cherchez aucune unité de lieu, de genre ou d’univers dans ces libres et personnelles interprétations. Qu’elles nous embarquent aux USA, au Maroc, en Belgique, en France ou au Canada, chaque plume y entrouvre pour nous une fenêtre sur des tranches de vie d’aujourd’hui, poétiques, loufoques ou tragiques.

Le livre commence sur la nouvelle titre d’Anne-Elisabeth Desicy Friedland qui, en à peine une page et demie, flirte avec le western de l’Ouest américain dans un remake contemporain et original. « J’ai eu envie de l’embarquer illico hors de cet enfer mais j’ai simplement bu mon coke. Je suis sorti avec l’idée de tirer une balle dans la tête du chien, mais je suis simplement remonté dans le camion, et j’ai tracé la route. » La deuxième de la mêmeauteure (Les lions) qui aborde l’urbanisme et les friches urbaines et la troisième (La tortue), plus longue, les fantasmes malsains d’un narrateur masculin dans le métro parisien à la vue d’une jeune violoncelliste, sont d’un tout autre registre. Cela annonce bien la suite, cette diversité et cette liberté de ces trois premiers récits seront la marque de tout le recueil.
Dans ces nouvelles dont aucune n’excède quinze pages, le lecteur découvrira ainsi un conte oriental (Fatima) de Corine Sylvia Congiu : « Une femme attendait devant sa porte. Elle attendait depuis des jours, depuis des semaines, peut-être des mois. Elle ne savait pas au juste ce qu’elle attendait mais elle était sûre qu’il fallait qu’elle attende. » Puis il frémira aux côtés de l’héroïne, « Il avait faim. Il était en chasse. Comment ne l’avait-elle pas discerné plus tôt à travers la vitre avant de l’avoir pris dans sa voiture, si près d’elle ? », dans Bande d’arrêt d’urgence, le polar pastiche écrit par Jean-Michel Calvez, ou tremblera pour la nageuse offerte à tous les dangers dans la nuit parisienne chez Sophie Germain. « Elle lève les yeux, il n’y a pas de lune, pas d’étoiles, pas d’avion. C’est plus fort qu’elle, elle regarde par-dessus son épaule. Il y a le porche de l‘immeuble voisin où elle a toujours pensé qu’il était facile de se dissimuler. Une silhouette en sort. » (Nocturne en Août ). Enfin on aborde le rivage dufantastique avec le dédale mental d’un étudiant dont la correspondance avec son professeur d’université relève du pur délire dans Sortilèges de Nathalie Barrié ou avec l’énigmatique et troublante nouvelle, L’amour fauve, de Sophie Germain.
Mais ces incursions dans la littérature de genre restent minoritaires. C’est ici le réalisme qui domine, de sa tendance naturaliste qui s’illustre à travers le destin tragique de Diégo, fils d’un immigré espagnol détruit par le travail, l’alcool et la pauvreté, mis en scène à la manière de Zola par Brigitte Niquet, ou celui de la gamine confrontée en direct à l’accouchement par sa mère d’un enfant mort-né (Pluviôse 2812 de Léo Lamarche),  à celle du réalisme onirique aussi lumineux que terrible de la fillette de Plume d’ange imaginée par LéoLamarcheou de cette jeune Parisienne solitaire que seuls le ressourcement dans la nature de son enfance et la sylvothérapie protègent du grand saut dans Un accident décent  de jean-Michel Calvez.
Si effectivement le noir domine le recueil, toutes les nouvelles n’en sont pas pour autant tragiques. Ici les polars détournés ne se soldent pas toujours par des cadavres. L’amour ou la tendresse parfois s’y glissent avec douceur comme dans Vertige de l’amour et Comme à Ostende de Brigitte Niquet. Et si l’entreprise est une machine à broyer aussi terrifiante, plus même parfois que la ville elle-même, le rêve de la réussite (version dure dans Putain, le casque deDominiquePerrut et version moqueuse avec Rentrée parisienne de Thomas Friedland)ou au contraire l’engagement doublé de solidarité qui habite les syndicalistes de Mémoires du charbon et de l’acier du même économiste-écrivain, dotent les personnages d’un but et en cela d’une  combativité qui leur donne alors la force de supporter voire dépasser l’adversité. Mais chez Dominique Perrut, comme chez Nathalie Barrié quand sous prétexte du Mariage des cousins elle nous plonge dans une scène conjugale de comédie, c’est surtout le point de vue choisi pour réduire ces accidents de la vie ou agressions à de banales contrariétés pour mieux les surmonter mais surtout le parti pris d’humour choisi par les narrateurs de ces histoires, qui offrent au lecteur de salutaires respirations voire provoquent chez lui un sourire amusé.
« Elle ne voulait pas que son fils finisse par devoir jouer du biniou sur la 13 ou par passer ses journées sous Marie-Jeanne. » (Rentrée parisienne)
« Après tout, j’aime mieux que tu nous joues ‘La mort du loup’ que ‘La cage aux folles’. » (Comme à Ostende)
« Enfin, après un temps qui paraît infini – l’addition de deux adultes et deux pré-ados dans la même salle de bain allonge la matinée bien au-delà de quatre fois le temps habituel, un cas où le résultat final explose la somme des parties – tout le monde s’entasse dans la voiture. » (Le mariage des cousins).
« Ils expliquaient tout cela posément à leurs collègues d’outre-Atlantique, le fonctionnement de ces compensations, la valeur d’un doigt, d’une main, de vingt pour cent de silicose. Devant eux, ils se portaient garants du fonctionnement contractuel, pour ainsi dire notarial, du système. » (Mémoires du charbon et de l’acier)
Seule nouvelle historique du recueil, La cour des miracles de Thomas Friedland est une libre variation, vive, colorée et au second degré sur le pillage du château du roi à Versailles lors de la Révolution. « À leur tour maintenant de courtiser l’affreux, l’espiègle et le peureux. Et toi ma chérie, du haut de tes onze ans d’innocence et de peine, je t’accorde à jamais une vie sans pareille : de rires, de joies, de chances, de beauté et de charmes ! ». Dommage que ce souffle de liberté et de colère n’anime plus vraiment les mineurs syndicalisés québécois persuadés que « les augmentations de salaire obtenues par les grèves, les indemnités pour risque, cela précipitait la chute du capitalisme. Pour la Grande Organisation ouvrière, il s’agissait de monnayer la dégradation des hommes, afin d’accélérer la transition nécessaire vers la révolution socialiste. » 

 

Chacune de ces nouvelles résonne avec notre sensibilité de lecteur de façon plus ou moins personnelle mais toutes ici se font pièces du grand puzzle de nos vies sur la scène du monde occidental contemporain. La jungle sociale est féroce, le chemin long et difficile et, en voiture, camion, métro, train, avion ou même à pied, en milieu urbain ou dans la nature, les itinéraires suivis par les personnages, au propre comme au figuré, les amènent rarement à leur destination sans détour, inquiétude, contrariété ou surprise.
L’idée de proposer à la suite plusieurs nouvelles de chaque auteur est excellente. Contrairement à la facture plus commune d’offrir une nouvelle par auteur, cela permet au lecteur en cheminant d’une histoire à l’autre de mieux percevoir la personnalité, le rythme, la voix de chaque écrivain. Parfois même d’établir une correspondance d’un univers à l’autre.
Les émotions du lecteur livré au ciel changeant, tour à tour noir ou dégagé, surplombant Le chien attaché au poteau électrique, sont nombreuses et vives. Son trouble aussi parfois. Mais la magie des fins ouvertes choisies ici par nombre d’auteurs pour leurs nouvelles est qu’elles permettent aux optimistes forcenés restés au bord du gouffre auprès du narrateur d’imaginer que le pire peut-être ne sera pas pour aujourd’hui.

Dominique Baillon-Lalande 
(31/07/20)    



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Lectures







NOUVELLE DONNE, Le chien attaché au poteau électrique
La chambre d’échos

(Juin 2020)
168 pages - 16 €
















Nouvelle Donne

Comme Encres vagabondes, la revue Nouvelle Donne a été une revue "papier" pendant une dizaine d'années avant de devenir une revue en ligne.