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Parents et enfants se réjouissent de passer toutes les vacances dans l’immense maison du Lot des grands-parents qui, entre famille et amis, grouille toujours de monde. Camille aime ces petits paradis aux parfums d’aventure que sont le grand jardin et la nature environnante soudain à sa disposition. Mais les vacances de l’été 1958, celles de ses six ans, resteront avant tout celles que traversa Monsieur Charles, ce beau quarantenaire entraperçu dans les réceptions mais surtout en cuisine auprès de la jeune Anglaise au pair. Un séducteur impénitent et irrésistible qui a le compliment facile et dont le beau sourire et le regard de velours peuvent parfois s’accompagner de mains malencontreusement baladeuses. C’est lui qui a offert à la petite ce beau livre illustré de La petite sirène qu’elle regarde chaque soir en pensant à lui. Elle se rêve sa belle princesse et lui restera son prince charmant secret d’un été jusqu’au jour où effrayée elle l’apercevra exhibant son sexe appuyé au chambranle de la porte du couloir. Cela mettra un terme définitif aux amours enfantines de Camille qui se contentera jusqu’à la fin des vacances d’éviter le bonhomme sans rien dire à personne. « Parfois, je ne suis plus sûre de rien (…) des scènes opaques, enfouies ». L’été suivant, Monsieur Charles n’est pas revenu. Camille grandit, fait des études, devient enseignante, et avec le temps le souvenir douloureux qui pourrait entraver sa capacité à s’assumer comme femme et à trouver le bonheur se transforme en doute. « Y a-t-il toujours derrière soi quelque chose qui nous pèse et nous freine ? » La jeune femme qui semble prendre peur dès qu’une relationstable se profile vit solitaire et libre, passant d’une aventure l’autre. Mais a-t-elle vraiment une vie affective en dehors de la relation tendre, harmonieuse et régulière à défaut d’être fréquente, qui l’unit à son frère et la femme assez exceptionnelle qu’il a épousée et avec laquelle il a deux enfants et des liens amicaux construits avec quelques collègues féminines ?
Ce roman, à travers la narration de Camille, évoque la vie affective de l’héroïne de ses six ans à ses trente-cinq ans. De son travail ou de son quotidien, hors la solitude parfois pesante, nous ne saurons que peu de chose. Seul l’amour fait ici sujet : les siens, de Charles à d’autres qu’elle a fuis dès que cela devenait sérieux avant qu’Andréa n’entre dans le jeu, celui qui a conduit sa mère quand la gamine avait huit ans à faire une fugue passionnelle de six mois ou ce dernier compagnonnage venu allumer une dernière flambée d’émotions et de vie deux ans avant son décès. En comparaison, le couple qui unit Jean, le jeune frère, et sa femme, Jeanne, parents de deux enfants semble reposer sur un sentiment amoureux serein, profond et rassurant plus conventionnel. Face à ce trio, des hommes ou des fantômes comme Oduardo Borrani, aussi mauvais garçon et coureur de jupons que peintre célèbre, Monsieur Charles aux mœurs douteuses qui pourrait en être la réincarnation mais aussi cet attendrissant Andréa hanté par ses démons, offrent des parcours moins linéaires voire plus sulfureux. Comment mener sa barque raisonnablement, que comprendre, qu’espérer, que croire et qu’accepter, quand les méandres du fleuve Amour s’avèrent si nombreux, sa nature si capricieuse et les écueils si nombreux ? Ce roman diffuse superbement cet effet de trouble que la zone sombre résultant de l'absence de lumière, cette silhouette plus ou moins déformée que projette sur une surface un corps qui intercepte la lumière en s'allongeant vers le soir appelée « ombre portée », produit. La métaphore utilisée dans le titre même du récit venu faire écho au mouvement pictural des Macchiaioli, maîtres du clair-obscur implantés en Toscane au milieu de XIXe siècle, renvoie non seulement à la généalogie d’Andréa (voire de Camille ou de Charles) mais illustre aussi parfaitement la confusion psychologique et/ou sentimentale des personnages. Facteur d’allées et venues dans le temps (du XIXe siècle à nos jours), dans l’espace (de l’Italie à la France) et de l’univers sentimental à celui des arts plastiques, ce mouvement et cette focale concourent à brouiller les pistes, à renforcer le mystère, à incarner la fragilité et la déstabilisation des protagonistes de façon à ce que le lecteur qui, lui-aussi, a de fortes chances d’avoir sur ce sujet plus d’interrogations que de certitudes, chemine au plus près de l’héroïne. Le style épuré et sensible d’Hélène Veyssier distille à merveille les peurs, la souffrance anesthésiée mais néanmoins présente et les angoisses larvées de Camille, cette narratrice blessée mais combative qui n’a jamais déposé les armes ou renié la vie. Par la magie de l’écriture, une simple rencontre de hasard sous le signe de la peinture, des égarements, de l’amour et des perpétuelles remises en cause, pourrait dès lors, sous les traits du peintre fantasque et torturé qu’est Andréa, esquisser pour une Camille libérée de son passé la possibilité d’un avenir enfin apaisé et peut-être lumineux. Sur un sujet délicat, ce roman émotionnellement fort, dépassant la victimisation d’une enfant confrontée à un choc traumatique la transformant ensuite en femme empêchée, ose donc une fin positive pour mettre en valeur l’énergie et les fantastiques ressources de l’être humain permettant aux obstacles d’être dépassés et aux blessures d’être pansées. C’est là une démarche devenue assez rare pour être mentionnée et louée surtout quand la forme employée pour le faire s’avère d’une cohérence et d’une efficacité sans faille. Dominique Baillon-Lalande (27/08/20) |
Sommaire Lectures Arléa (Août 2020) 144 pages - 17 €
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