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Théo ANANISSOH


Perdre le corps


Lire un roman qui se déroule au Togo est peu courant, lire un écrivain togolais vivant en Allemagne et écrivant en français, encore moins, et lire une histoire qui commence par une proposition pour le moins déroutante – Je vous propose d’aimer Minna à ma place – inaugure une lecture captivante.

Et en effet, comme notre jeune et candide narrateur, Maxwell, le lecteur est tout de suite happé par la personnalité, à la fois attirante et repoussante de Jean Adodo, homme mûr, calme, riche, sympathique mais pour le moins intrigant. Si la rencontre improbable de ces deux-là se fait à Lomé, dans une belle villa dont Jean Adodo dit l’avoir héritée de sa tante, elle va se poursuivre, non loin de Lomé, au bord de la mer, à Aného où vit frugalement, dans une petite maison de pierre, cette sorte de Pygmalion, revenu au pays depuis peu et comme on le verra au cours du roman, qu’il ne connait pas bien, puisqu’il en est parti enfant et ne comprend même pas la langue du nord parlée par sa mère, le nord  où il va entraîner Maxwell, presque à la frontière avec le Burkina Faso.

Laissez-moi vous décrire la maison – la petite maison à Aného, comme a dit M. Adodo. […] Un chemin de terre carrossable quitte la grande route et pénètre d’abord la broussaille puis longe des jardins maraîchers. […] « Une clôture de briques rouges couverte de bougainvilliers », a-t-il spécifié. […] Voici ce que c’est : une grande cour ornée de plantes à fleurs, de cocotiers et d’un manguier nain. Et au fond, une construction à laquelle nul ne s’attend au Togo ! une maison aux dimensions réduites […] – mais en pierre […] Les pierres sont naturelles, et trois piliers solides soutiennent le toit de la véranda. […] En fait, la véranda tient lieu de séjour, c’est l’endroit où l’on reçoit […] un canapé y est placé pour la sieste qui doit être vraiment délicieuse dans le calme ambiant.

Le cœur de Maxwell n’a pas fini de battre dans cette aventure qui tient à la fois du polar, du roman épistolaire du XVIIIème siècle où les liaisons amicales et amoureuses pourraient s’avérer dangereuses, du roman initiatique et du guide touristique mais un guide, qui, même s’il aime son pays d’un profond amour, est aussi lucide sur ses travers et les dénonce, légèrement, par saupoudrage, mais sûrement.

Depuis que j’ai vu les maisons de M. Adodo à Lomé et à Aného, je me sens offensé de vivre dans cette pièce unique, presque comme un animal en cage. […] « Il faut toujours chercher à bien se loger, Max. Tout le bien ou le mal de votre existence découle de ça. » Pendant le reste du voyage, j’ai médité son propos. […] mon attention s’attachait aux habitations précaires que les Togolais ont plantées comme des gens éternellement aux abois.
De plus la pauvreté générale que nous voyons nous laisse sans voix. […] Dans ce décor désastreux, ce qui surprend, c’est l’abondance alimentaire : d’étonnantes quantités d’ignames ou de manioc sont exposées pour la vente au bord de la route […] La nature est généreuse ; c’est l’esprit qui n’est pas cultivé.

C’est aussi bien sûr un roman d’amour…

Minna est belle, monsieur. Je suis bousculé rien que de la voir. Une sorte de crainte me prend. Sa carnation est autre. Elle est différente de la mienne et de la tienne, si tu me le permets. Elle est plus sombre, avec comme de légères accentuations. Il est étonnant qu’un corps soit si bien et si parfait. Elle fait tresser ses cheveux comme les autres, avec des mèches longues et encombrantes. Le moment venu, quand nous serons plus proches, comme je l’espère, j’essayerai d’obtenir qu’elle change de coiffure. Ses cheveux naturels suffisent pleinement à souligner sa beauté. Pas besoin d’appoints quels qu’ils soient.

… et peut-être, une déclaration politique de la part de l’auteur, qui supplierait la jeunesse du Togo d’aimer son pays, mieux que ce que lui a pu faire… mieux que ce qui se fait.

Syvie Lansade 
(26/02/21)    



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Lectures







Théo ANANISSOH, Perdre le corps
Gallimard

Collection
Continents Noirs
280 pages - 20 €

Version numérique
14,99 €












Théo Ananissoh,

né en 1962 en Centrafrique de parents togolais, a suivi des études de lettres à
La Sorbonne.
Il vit et enseigne maintenant en Allemagne.





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