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« Ce n'était pas agréable autrement de sortir de chez soi et d'être arrêté dans la rue, en minorité, à bout portant, et sommé de répondre aux questions, d'écarter les membres face au mur, mur contre lequel on subissait des fouilles […] puis de rester sans bouger d'un cheveu dans cette position aussi longtemps que les soldats le jugeraient bon, ni d'essuyer les sourires narquois de ces hommes adultes et armés si jamais vous – l'épouse, la sœur, la mère, la fille – sortiez pour vous porter témoin de ce qu'on faisait à votre fils, votre frère, votre mari ou votre père. […] Ce ne pouvait en aucun cas être agréable pour une femme, quelle qu'elle soit, de sortir de chez elle pour affronter le ruissellement de commentaires sexuels. […] La haine donc. Une haine puissante, la grande haine des années soixante-dix. » Elle a dix-huit ans. Son père est mort. Son deuxième frère a été tué en combattant. Il a rejoint avec son meilleur ami que la famille considère comme un quatrième fils ceux qu'elle appelle "les renonçants". Son frère aîné a fui tout ça en partant à l'étranger. Son troisième frère joue à cache-cache avec l'État et ses amours. Ses trois sœurs aînées sont mariées. L’aînée avec un homme qu’elle n’aime pas et porte le deuil d'un petit ami mort. La deuxième s'est exilée parce qu'elle a épousé "un ennemi" qui a d'ailleurs été tué et est menacée de mort. "Sœur du milieu", c'est ainsi que se nomme la narratrice, vit donc avec sa mère et trois autres petites sœurs. Elle a un "peut-être petit ami" qu'elle cache de toutes ses forces à sa mère qui voudrait la marier aussitôt alors que ni l'un ni l'autre ne sont prêts à s'engager. « C'est pourquoi, à dix-huit ans, je ne parlais pas des renonçants, je rechignais à y penser, je fermais la porte à ce sujet. C'est que je voulais rester aussi saine d'esprit que je pensais l'être alors. […] Non seulement Sœur du milieu ne prend pas parti mais sa façon de se réfugier dans les livres fait offense à la communauté. « Il est apparu un jour, ralentissant à ma hauteur […] Tu es l'une des petites de qui déjà, non ? Untel était ton père, non ? Tes frères, machinchose, machinchose, machinchose et machinchose, ils jouaient dans l'équipe de hurling, non ? Monte, je te dépose. C'est un cauchemar que Sœur du milieu traverse vaillamment et avec entêtement. Elle sait qu’être considérée comme l'un des "dépassants-de-bornes", réprouvés socialement est le prix à payer pour garder sa liberté, son intégrité. Anna Burns fait le portrait d'une jeune fille courageuse, butée, qui lutte absolument seule contre tout son environnement à commencer par sa propre famille. Un roman déroutant par ses partis pris originaux de langue parlée et d'absence de noms pour les personnages comme pour les lieux. Cet artifice sert à dépersonnaliser les protagonistes comme le voudrait la communauté : qu’il n'y ait plus d'individualités mais une seule masse obéissante qui fasse front contre "ceux d'en face". Et en même temps cette communauté sans nom, sans lieu où ses membres sont devenus tous des Big Brother devient universelle, on peut la reconnaître encore au coin d’un de nos quartiers aujourd'hui. Comme on voit cette société avec les yeux de cette très jeune femme révoltée, son regard est sans appel, elle décrit un univers d'aliénés, de forcenés, de barbares réactionnaires ; un univers totalitaire où aucun destin individuel n’est possible si on se laisse faire. Il faut tenir, seul contre tous. Sylvie Lansade (16/08/21) |
Sommaire Lectures ![]() Joëlle Losfeld (Février 2021) 352 pages - 22 € ![]() Folio (Mai 2022) 480 pages – 9,40 € Traduit de l'anglais (Irlande) par Jakuta Alikavazovic
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