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Ils vont commencer par parler d’eux, pour faire connaissance. Amal est née en Égypte. Son père, officier dans l’armée, partait souvent en mission aux Etats-Unis. « Il a pris sa retraite avec le grade de colonel et nous nous sommes installés à Washington où il a monté une entreprise de commerce de matériel militaire. J'avais six ans à l'époque. […] Mon père est mort alors que j'étais étudiante à l'université. […] Ma mère l'aidait dans ses affaires et elle l'a remplacé après sa mort, puis elle a vendu l'entreprise et a investi l'argent dans des fonds d'investissement sûrs, et elle a ouvert un magasin de fleurs. » « Après avoir terminé l'université, j'ai commencé à me sentir perdue. Mon père était mort, ma sœur et ma mère étaient prises par leurs affaires. Mes études d'histoire ne me préparaient à aucun métier. Et je ne savais même pas qui j'étais vraiment. La plupart des gens me considéraient comme une Arabe alors que je ne me voyais pas ainsi. Je savais que j'avais des origines égyptiennes, tout comme mes parents, mais pour moi j'étais américaine. » Elle a rejoint alors une ONG dans le domaine du développement et parcouru de nombreux pays avant de choisir de revenir dans celui de son enfance en 2010. Un an après elle a participé au mouvement insurrectionnel en restant sur la place Tahrir du 28 janvier au 11 février. Puis elle a continué son travail dans l’ONG jusqu’à ce que le gouvernement décide d’y mettre fin. « Ils se sont réveillés un jour, il y a deux ans. Ils ont attaqué les sièges d'un grand nombre d'organisations de la société civile, parmi lesquels notre bureau. Ils ont tout mis sous scellés et ont pris les ordinateurs et tous les papiers qu'ils ont trouvés, et nous ont tous collé le fameux procès du financement étranger, et il s'est passé ce qui s'est passé. Certains sont partis mais je suis restée. Je n'avais pas envie de partir. » Incarcérée, elle a fini par céder au bout d’un an, accepté de renoncer à la nationalité égyptienne et de quitter le pays. Son avion décolle dans quarante-huit heures… Omar a un parcours bien différent. Il est né à Paris d’une femme égyptienne mariée, qui est tombée amoureuse d’une jeune étudiant égyptien et s’est trouvée enceinte de lui. « Elle est morte durant l'accouchement. Lui étudiait à Paris, mais le décès de ma mère l'a rendu dépressif. Il n'a pas pu rentrer en Égypte car il était recherché par les services de sécurité. Alors, des Arabes vivant à Paris l'ont aidé à trouver un travail au Soudan. Il m'a emmené avec lui, évidemment. Mais il s'est avéré que le cabinet d'investissement dans lequel il allait travailler appartenait en fait à Al-Qaida. Après bien des péripéties, il a été expulsé du Soudan et s'est retrouvé en Afghanistan. Mais sans moi. Il m'avait laissé au Soudan avec les autres enfants de l'organisation, aux mains des femmes qui étaient restées. » A 15 ans, il a essayé de faire sauter le siège de l’organisation du djihad au Soudan avec des explosifs. Heureusement, son père a été prévenu et a réussi à le récupérer au Soudan pour l’emmener en Égypte. À la demande d’Amal, Omar raconte la suite de son histoire depuis son retour au Caire en 2009, entremêlée avec celle de son père et celles de ses amis. Ce sont des histoires d’amour et d’amitié mais toujours marquées par la violence d’une période troublée. Les récits de leurs ébats amoureux sont aussi soumis, avec humour, à la censure et l’autocensure qui règnent dans le pays pour tout ce qui concerne la sexualité. « Amal se retourne dans le lit jusqu'à ce que sa bouche atteigne un membre dont la seule mention inciterait la justice à nous envoyer en prison. Omar est intimidé, et ce membre, dont la seule mention inciterait la justice à nous envoyer en prison, ne se raidit pas. Elle commence avec ses doigts, puis ses lèvres, puis l'invite à en faire autant avec ses lèvres à lui sur une partie dont la seule mention est incriminée par la justice, en guidant ses doigts pour les glisser dans un autre endroit dont la mention est incriminée par la justice. » Évidemment, ça ne favorise pas l’érotisme… Ces conversations, dans un temps limité, entre deux personnages aux vécus et aux avenirs très différents, constituent un ensemble très fort, à la fois passionnant et émouvant, avec un regard acéré sur la société égyptienne, sur l’espoir né en 2011 et la répression qui a suivi. Tous les hommes et femmes dont Omar évoque le destin sont attachants et, pour les survivants, la déception est à la hauteur des espérances nées sur la place Tahrir. Serge Cabrol (10/05/21) |
Sommaire Lectures Joëlle Losfeld (Mars 2021) 288 pages - 22 € Version numérique 15,99 € Traduit de l'arabe (Égypte) par Hussein Emara & Victor Salama
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