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Dominique GODFARD

Le conflit de l’an 2040


Roselyne, 98 ans, est le personnage central de ce roman d’anticipation tendre et émouvant mais présentant tout de même les aspects sombres d’une dégradation des conditions de vie au cours des vingt prochaines années.  Le thème central en est le conflit des générations qui bascule dans une flambée de violence urbaine mais Roselyne, amoureuse des mots et de la langue, réussit à établir une relation riche et affectueuse avec son petit-fils, Arthur, un adolescent troublé par la naissance d’une histoire d’amour. Un échange de bons procédés s’instaure peu à peu où chacun profite des savoirs et compétences de l’autre…

En 2040, la situation s’est améliorée dans certains domaines. L’espérance de vie s’est allongée, les centenaires sont de plus en plus nombreux et Roselyne, « à en croire les données démographiques, avait une bonne vingtaine d’années à vivre devant elle ». La conduite des automobiles est devenue automatique, ce qui réduit les risques d’accidents liés aux soirées trop arrosées, et les robots sont devenus indispensables dans tous les foyers et pour toutes les fonctions d’autorité, enseignants, militaires, policiers, et même dans le domaine du sport : « Il n’existait plus un seul arbitre en chair et en os pour se faire écharper au moindre penalty accordé ».

Par contre, la situation a continué à se dégrader dans le domaine climatique – avec des inondations à répétitions et des incendies gigantesques détruisant les forêts tropicales et faisant disparaître de nombreuses espèces animales – mais aussi dans le domaine de la violence sociétale où les relations entre jeunes et adultes sont de plus en plus conflictuelles. Dans ce conte philosophique à l’humour voltairien, « trois grandes tribus règnent sur une terre vidée de ses vertus nourricières. » : les jeunes (enfants et ados) constituent la tribu des J-aïes, « la plus dangereuse et la plus imprévisible » ; les adultes – essentiellement les parents des J-aïes – sont les J-suis ; enfin, les plus de soixante-dix ans sont les J-restes, « la tranche d’âge qui conduit au trépas ».

Le roman se déroule entre deux réveillons de Saint-Sylvestre. Le 31 décembre 2039, Roselyne réussit à réunir la famille chez elle : Vanessa, sa fille, et ses trois maris successifs, ainsi que les trois petits-enfants. Les trois tribus sont ainsi représentées et l’ambiance n’est pas toujours au beau fixe comme une préfiguration du conflit qui va agiter le pays au fil de l’année.
« Cette tension larvée n'augurait rien de bon et constituait même le signe avant-coureur d'événements qu'elle préférait ne pas imaginer puisqu'à prévoir le pire, on est rarement déçu. Une étincelle suffirait, elle le savait car son grand âge l'avait édifiée en matière de belligérances sanglantes, à mettre le feu aux poudres. Dans les faits, l'étincelle se concrétisa en l'immolation d'une mère de famille nombreuse, place de la Concorde, à Paris. La malheureuse, qui comptait parmi les dernières de son espèce en voie d'extinction, accompagna son geste de la liste manuscrite des méfaits que ses impitoyables enfants lui avaient fait subir. Un véritable palimpseste de deux mètres de long… »
« En représailles aux critiques de l’immolée de la Concorde sur leur compte, des centaines de J-aïes se regroupèrent le jour même en meutes hostiles, prêtes à en découdre avec n’importe quel adulte. »
Et le conflit s’embrase dans une flambée de violence…

Roselyne s’est retirée depuis une quarantaine d’années dans une maison du Perche, au milieu d’une campagne belle et paisible, où elle vit seule avec son robot Quistusse, sa chatte Lili et l’écureuil Bébé qui traverse de temps à autre le jardin.
Elle aime particulièrement son premier petit-fils, Arthur, né du deuxième mariage de Vanessa seize ans plus tôt. Ils sont tous les deux « amoureux des mots dont elle a bercé la tendre enfance de l'adolescent à l'époque où les parents d'Arthur sillonnaient la planète en quête d'épanouissement personnel. Le lien né de cette cohabitation entre l'enfant et la vieille dame faisait de ce J-aïe, décidément pas comme les autres, un champion en vocabulaire car elle lui avait enseigné une kyrielle de mots qui le singularisait dans un monde guetté par l'aphasie. »

Il faut dire que Roselyne aime les mots rares – canuler, carabistouille, quinteux, gobelotteuse, agelaste… – et les expressions imagées : « T'occupe pas du chapeau de la gamine, laisse flotter les rubans », « se lécher les badigoinces », « numéroter ses abattis »... Tout cela est délicieusement désuet et amuse Arthur venu passer quelques jours chez sa grand-mère.
Par contre, s’il est un domaine où Roselyne ne brille pas par ses performances c’est la communication numérique, l’informatique et les réseaux sociaux. Un échange de compétences va s’instaurer entre eux deux. Parmi les compétences de Roselyne, outre la richesse de son vocabulaire, il y a une certaine expérience de la vie et des histoires d’amour qui pourrait bien rendre service au jeune garçon troublé par la relation qui se construit avec la jolie Jessica.

En contrepoint de l’exacerbation du conflit entre générations et de la dégradation des conditions de vie sur la planète, on suit avec plaisir la relation positive, l’affection et l’entraide qui unissent la grand-mère et son petit-fils. Les aspects sombres de la dystopie alternent avec la lumière qui illumine la maison du Perche, un peu d’espoir dans un monde d’angoisse.

Serge Cabrol 
(17/03/21)    



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Dominique  GODFARD, Le conflit de l’an 2040
5 sens

(Février 2021)
132 pages - 12,76 €











Dominique Godfard,
née au Maroc, a déjà publié une quinzaine de livres.


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