Retour ŕ l'accueil du site





Claire KEEGAN


Ce genre de petites choses


Ce récit se déroule au moment des fêtes de Noël, en 1985, à New Ross (Irlande). Il a pour cadre principal l’une des blanchisseries de Magdalen, de sinistre réputation. Rappelons que ces foyers pour filles non mariées et bébés, gérés par l’Église catholique avec le soutien de l’État irlandais, auraient exploité environ 10 000 femmes et laissé mourir des milliers de bébés ; ils ont été définitivement fermés en 1996.

La situation de Bill Furlong, propriétaire du dépôt de bois et de charbon, doit tout à la générosité de Mrs Wilson, la veuve protestante qui habitait la maison de maître à l’extérieur de la ville. Celle-ci, en effet, à l’annonce de la grossesse de la mère de Bill, sa domestique alors âgée de 16 ans, ne la chassa pas mais la garda à son service et choisit de pourvoir à l’éducation de l’enfant. Bill suivit des études techniques, puis épousa Eileen ; de leur union naquirent cinq filles qui ne cessaient de le combler : « Parfois Furlong (...) éprouvait une joie profonde, secrète, à l’idée que ces filles étaient les siennes. »

Tout au long du beau récit de Claire Keegan, écrit dans un style aussi simple que limpide, le contexte économique de l’époque est évoqué pour dénoncer une précarité grandissante : files de chômeurs, factures impayées, maisons glaciales, exode des jeunes pour Londres ou New York... Est-ce le spectacle de cette pauvreté qui se développe toujours davantage, l’ignorance de l’identité de son père, le marchand de bois se sent intranquille et doit composer avec « une partie de son esprit (...) souvent crispée ; il ne pouvait dire pourquoi. » ?

Début décembre, Furlong a fait une livraison de bois au couvent, « un édifice respirant la puissance sur la colline de l’autre côté de la rivière, avec un portail d’un noir luisant, grand ouvert, et une quantité de hautes fenêtres brillantes, face à la ville. » C’est par hasard qu’il découvre dans la chapelle une douzaine de filles qui cirent le parquet. Elles sont habillées d’épouvantables uniformes mal taillés, en chaussettes et effrayées ; l’une d’elles le supplie de l’emmener à la rivière... où elle veut se noyer. Quand il s’ouvre à son épouse de cette indéniable preuve de maltraitance, elle lui conseille fermement de s’occuper seulement de sa famille et non de ces filles du couvent qui se sont attiré des ennuis : « une petite chose dure se forma alors dans la gorge de Furlong, qu’il essaya mais se sentit incapable d’avaler », d’autant que le sort de ces malheureuses aurait pu être celui de sa mère si  Mrs Wilson ne l’avait pas aidée ou concerner, plus tard, l’une de ses propres filles.

Puis nous assistons aux préparatifs de Noël (gâteau, lettres au Père Noël, etc.) tandis qu’une seconde livraison au couvent et la rencontre de Sarah, enfermée dans le local à charbon, ainsi que celle de l’autoritaire et puissante mère supérieure, vont décider Bill à suivre les inclinations de son cœur et à délivrer la pauvre fille pour la ramener chez lui, le 24 décembre.

Le miracle de ce court livre (112 pages), modestement intitulé Ce genre de petites choses (qui fait référence aux menus échanges entre Bill et son épouse quand le soir ils discutent de choses et d’autres), sans aucun effet de style grandiloquent ni misérabilisme, est la puissance qui s’en dégage et marque le lecteur par son poids d’humanité. Car il s’agit bien du portrait très fouillé d’un homme bon, attentif aux autres, et capable de répondre à un appel au secours que tout le monde choisit d’ignorer, quelles qu’en soient les conséquences à son encontre : ne doutons pas, en effet, que le héros de ce récit va devoir affronter de sérieuses difficultés et au sein même de son entourage !

Juste avant d’accomplir ce qui n’est pas moins qu’un exploit dans les circonstances données, Bill Furlong « en vint à se demander à quoi bon être en vie si l’on ne s’entraidait pas. Était-ce possible de continuer durant toutes les années, les décennies, durant une vie entière, sans avoir une seule fois le courage de s’opposer aux usages établis et pourtant se qualifier de chrétien, et se regarder en face dans le miroir ? » et c’est pour ce message-là en particulier – pour cette exhortation à l’entraide -, qu’il faut lire Ce genre de petites choses.

Dominique Godfard 
(29/04/21)    



Retour
Sommaire
Lectures







Claire KEEGAN, Ce genre de petites choses
Sabine Wespieser

(Novembre 2020)
120 pages - 15 €

Version numérique
10,99 €


Traduit de l’anglais (Irlande)
par Jacqueline Odin












Claire Keegan
est née en 1968 en Irlande. Son œuvre est traduite en une dizaine de langues. Cette novela est son quatrième livre paru chez le même éditeur.