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Éric MERCIER


Fauves



Un joli titre aux multiples sens. Les fauves ce sont les deux chiens qui dès le prologue attaquent et tuent une femme sur le perron de sa propre maison. Les fauves, ce sont les hommes capables de dresser et utiliser de tels chiens. Mais les fauves, ce sont aussi des peintres du début du XXe siècle dont la violence des couleurs contrastait avec la douceur des impressionnistes. Et la peinture joue un rôle important dans cette histoire écrite par un docteur en histoire de l’art.

Après le tragique prologue daté de 1989, on reprend pied dans le présent en suivant le commandant Frédéric Vicaux dont la journée commence mal. Pourtant la Ferme du bois de Vincennes est un lieu agréable et paisible. Mais le cadavre presque entièrement dévoré par les cochons gâche sérieusement la quiétude du lieu.
Le visage à peu près intact et une alliance avec deux prénoms et une date permettent assez rapidement d’identifier la victime : Ivan Katos, collectionneur et marchand d’art, riche et bien connu dans le marché de la peinture. Son appartement de l’avenue de Friedland, aussi luxueux que mystérieux, « qui se déploie sur deux étages, a dû être confié à un décorateur talentueux. Sans limite de budget. Dans le salon, tout est laque, dorures, marqueteries, boiseries et mobilier travaillé dans les bois les plus raffinés. L'Art déco recueillait manifestement les suffrages du propriétaire : ordre, couleur et géométrie.
« Comme si cela ne suffisait pas, les tableaux accrochés aux murs donneraient le tournis à plus d'un conservateur de musée. Marquet, Derain, Camoin, Dufy, Matisse, Van Dongen et Vlaminck partagent les cimaises avec Rouault et Picabia. De l'art – des peintres fauves – et du luxe à profusion, mais pas la moindre trace ou presque de l'existence de Katos.
Où sont les photos d'êtres aimés, les bibelots anodins offerts par la famille ou les souvenirs de voyage ? » Rien, aucune trace d’une vie personnelle.

Qui est vraiment cet homme ? Pourquoi a-t-il terminé dans l’enclos aux cochons ? Qui l’y a jeté ? C’est à ces questions que le commandant doit trouver des réponses et elles vont lui demander beaucoup de réflexion et d’énergie.  Il va devoir remonter dans le temps pour trouver où et comment Katos s’est procuré ses tableaux, et faire quelques voyages dans l’île de Bréhat, à Berlin et même en Amérique latine…

Outre ses adjoints, Laetitia et Jimmy, le commandant va bénéficier de l’aide aussi précieuse qu’inattendue de son ex-compagne, Anne, déjà rencontrée dans une précédente enquête (Dans la peau de Buffet). Ils ne se sont pas revus depuis une dispute qui les a séparés. Et voilà qu’elle reprend contact pour lui signaler la disparition de Pierre Clément, un doctorant dont les recherches et la thèse portent sur le marché de la peinture en France dans les années quarante et cinquante. Il l’a appelée pour lui dire qu’il avait des révélations à faire mais pas au téléphone. Ils se sont donné rendez-vous dans un café. Il n’est pas venu et personne ne l’a revu. Anne est convaincue qu’il lui est arrivé quelque chose de grave. Frédéric peut difficilement refuser mais profite de l’occasion pour lui demander de l’accompagner lors de certaines visites liées à l’enquête qu’il mène. Fille d’un antiquaire, elle a été professeure d'histoire de l'art à la Sorbonne (avant de prendre un congé sabbatique d’un an) et il aimerait profiter de ses connaissances (comme dans l’enquête précédente) pour en savoir plus sur la collection de tableaux de Katos, la valeur et l’origine des toiles, les conditions de ses ventes. « En moins de dix ans, Ivan Katos a procédé à la vente de douze toiles de maîtres, pour la bagatelle de quinze millions d’euros, la dernière s’étant concrétisée quarante-huit heures avant sa disparition. »
Ils vont rencontrer des galeristes, des marchands, des collectionneurs (y compris un ex-présentateur de Canal+), tous ceux qui lui ont acheté des toiles, mais ils vont aussi s’adresser à des spécialistes pour vérifier l’origine et l’authenticité de ces tableaux hérités d’un grand-père, médecin à Montparnasse au début du vingtième siècle, qui aurait acheté ou reçu en paiement de ses soins les tableaux de peintres encore peu connus qui travaillaient dans les ateliers du quartier. Anne découvre que toutes ces œuvres ont un point commun. « Les tableaux ne sont mentionnés et reproduits dans aucune monographie, aucun catalogue raisonné. À chaque fois, les certificats d'authenticité ont été délivrés par une seule personne et non par un comité. Chaque toile est une variante d'un thème prisé du peintre. Et il s'agit toujours d'une composition relativement secondaire dans l'œuvre. Que ce soit Matisse, Dufy, Rouault ou Marquet, ils utilisent une gamme chromatique réduite et, de fait, facile à imiter. » Et s’il s’agissait là d’un faussaire de génie ? Cette hypothèse va nous permettre de découvrir les plus modernes techniques d’analyse et d’identification des faux.

Mais cette piste n’est pas la seule. L’assassinat de Katos n’est pas uniquement lié au monde de l’art mais aussi à des magouilles du milieu politique (l’affaire Boulin) et du grand banditisme (Francis Lebègue dit l’Albigeois)… D’autant plus que Katos n’est pas la seule victime de l’histoire et que plusieurs cadavres vont venir compléter la série dont l’un dévoré non par des cochons, cette fois, mais par des crocodiles.

L’ensemble constitue un roman passionnant où l’on suit avec empathie le commandant Vicoux toujours épris de son ex-compagne et ravi d’enquêter une fois encore avec elle dans l’univers de l’art où elle évolue comme un poisson dans l’eau. Jamais deux sans trois, espérons qu’une troisième enquête unira à nouveau le policier et la professeure qui constituent un si efficace duo. À suivre…

Serge Cabrol 
(26/02/21)    



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Noir & polar








La Martinière

(Janvier 2021)
448 pages - 21 €













Éric Mercier,
docteur en histoire de l’art et commissaire d’expositions, a publié son premier roman, Dans la peau de Buffet, en 2018.