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Yves REVERT

Beau drôle



« – Depuis le soir devant l'hôtel de Guise, un pacte tacite nous liait. Elle avait pris ma peau, mes muscles, ma salive, elle avait pris ma jeunesse.
– En échange de quoi, vous attendiez qu'elle vous aime ?
– Non, ça non, je n'ai jamais osé. Mais j'attendais qu'elle n'aime personne d'autre. »

C’est un étrange roman d’amour que nous offre Yves Revert, roman historique et littéraire, portrait en creux d’une princesse de l’époque de Louis XIV dont deux hommes vont évoquer et entretenir le souvenir après sa disparition.

Le premier de ces hommes est M. d’Aubigny, âgé maintenant et retiré sur ses terres en Touraine avec un fidèle valet. Il occupe diverses fonctions qui l’amènent chaque jour à parcourir les bois et surveiller la navigation sur la Loire. « Il siège à la chambre des eaux et forêts de France, à la Table de Marbre, il a juridiction et connaissance sur tout ce qui touche aux bois et forêts du roi, des princes, prélats, gentilshommes, particuliers et communautés, ainsi que sur les garennes, pêches, rivières, îles, îlots et moulins. » De quoi occuper son temps faute d’être encore dans l’action auprès de la princesse, au cœur des manœuvres politiques en Europe et particulièrement en Espagne.

Le deuxième a dix-huit ans et un tempérament enflammé qui lui a valu une obligation de quitter Paris et se réfugier chez d’Aubigny qui ne cherche pas à en connaître la raison. « J'ignore le détail de l'histoire et je ne veux pas le connaître, sinon qu'un conseil de famille a condamné le chevalier et son frère à un exil en province, chacun de son côté, à cause d'une maîtresse qu'ils avaient en commun. » Le « jeune chevalier » devra rester six mois en Touraine. Il s’occupe en écrivant de longues lettres à une de ses maîtresses où il raconte son quotidien chez d’Aubigny. C’est cette correspondance qui en fait un narrateur du roman, en alternance avec d’Aubigny lui-même. Le valet, quant à lui, se tait et observe. On saura plus tard quel était son rôle auprès de la princesse.

Cette princesse est un personnage historique réel. Marie-Anne de La Trémoille, princesse des Ursins, morte à quatre-vingts ans en 1722, amie de Mme de Maintenon, était une femme puissante et mystérieuse qui a pesé sur de nombreuses négociations entre les familles européennes, aidé à sceller des alliances pour éviter des guerres, et joué un rôle important dans la succession du trône d’Espagne.
C’est le jeune chevalier qui nous la présente alors qu’il ne l’a pas connue. « Parmi notre petite troupe, sans que je me rappelle comment l'habitude s'est prise, nous avions fait de Mme des Ursins une idole. Les années tout de suite après sa mort, elle a été pour ainsi dire oubliée. [...]
Je ne sais plus comment au sein de notre petite bande nous avons redécouvert le personnage, ni lequel d'entre nous en a parlé pour la première fois. Mais treize ans après sa disparition, celle qui avait été tant aimée et tant haïe était devenue entre nous une sorte de fétiche. Nous nous répétions son nom comme on s'échange un porte-bonheur. »
« Que savions-nous d'elle ? Ce que tout le monde sait. À la mort de Charles II d'Espagne, quand elle était déjà veuve et habitait à Rome, on fit appel à elle pour jouer un rôle de la première importance à Madrid. Louis le Grand ayant placé sur le trône d'Espagne son petit-fils Philippe, il lui fallait sur place quelqu'un qui voie tout et le lui rapporte, et fasse exécuter ses consignes sans que cela se remarque. Quelqu'un qui n'apparaisse dans aucun poste officiel, un passager clandestin installé dans les soutes de la machine politique, et que sa situation financière obligeait à se montrer sans scrupule et docile. La reine Marie-Louise gouvernait Philippe, Mme des Ursins gouvernait la reine. Quand on a cru qu'elle courait à sa perte, elle s'est révélée indestructible, on l'a crue indestructible, elle était condamnée. »
D’Aubigny qui a vécu une quarantaine d’années auprès de la princesse mettra longtemps à répondre aux questions du jeune chevalier curieux d’en savoir plus sur cette femme secrète et intraitable dont la vie a pris des allures de légende.

La curiosité du jeune chevalier permettra au vieil homme de revivre cet amour impossible avec cette femme qu’il aimait et qui ne lui offrait que son corps et le droit de se tenir à ses côtés sans qu’il ne soit jamais questions de sentiments entre eux. C’est cette étrange relation qui est au cœur du roman et que l’auteur évoque peu à peu, par petites touches, avec délicatesse, sans dévoiler tout à fait le mystère qui entourait la vie de la princesse au point d’en faire un personnage légendaire capable de générer à son égard autant d’amour et de passion que de haine et de violence.

Serge Cabrol 
(10/02/21)    



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Yves REVERT, Beau drôle
Le Rouergue

(Janvier 2021)
224 pages - 18,80 €

Version numérique
13,99 €









Yves Revert,
né en 1964, est journaliste. Beau drôle est son deuxième roman.