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Damien RIBEIRO


Les évanescents



Peut-on changer totalement de vie, de région, de classe sociale, sans que le naturel, un jour ou l’autre ne revienne au galop ? C’est ce que l’auteur nous amène à observer en suivant son personnage, Mickaël Dos Reis qui bascule d’une existence dans une autre en passant de la côte atlantique à la Méditerranée.

La première partie, Océan Atlantique, évoque l’enfance et l’adolescence de Mickaël à Bayonne.
« Charles D. était mon voisin. Nous habitions dans un petit lotissement au nord de la ville, dans ces endroits où l'immobilier était accessible à ceux qui venaient d'intégrer la classe moyenne. Mes yeux d'enfant ne me permettaient pas de le mesurer mais nos familles, bien qu'arrivées au même point, ne connaissaient pas les mêmes trajectoires. Pour poser ses meubles But dans ce lotissement de l'autre bout de la ville les miens avaient opéré une ascension sociale symétriquement opposée à celle des D. qui vivaient là dans le dernier bien de famille survivant aux mauvaises affaires de monsieur D., un sympathique photographe qui avait englouti les dernières économies de sa femme dans un projet professionnel de plus en plus anachronique. »
C’étaient moins le niveau de revenus que les différences sociales et culturelles qui creusaient un fossé entre les deux familles. « Chez les D. j'appris l'existence de Dieu, madame D. m'enseigna également qu'il ne fallait pas manger la peau du poulet, que Les Inconnus étaient des humoristes vulgaires et que la danse de la lambada était "obscène". Ces petites humiliations qu'un enfant ne comprend pas mais qui faisaient sourciller mes parents quand, en toute candeur, je leur rapportais les précieux enseignements de l'honorable famille D. »
Mickaël et Charles jouent ensemble parce qu’ils sont les seuls enfants de dix ans à vivre dans le lotissement mais une fois sortis, ils ne se connaissent plus. Le lycée sera une épreuve pour madame D. quand Mickaël entre en seconde générale alors que Philippe est orienté vers une voie technologique.
Mais tout cela importe peu pour Mickaël dont la seule passion est de retrouver d’autres tagueurs dans les ruines de l’ancien Country Club pour donner libre cours à son activité créatrice avec les bombes de peinture piquées dans un magasin d’articles pour les voitures.

Dans la deuxième partie, Mer Méditerranée, Mickaël est installé à Cannes après avoir tout abandonné : Bayonne, les parents, les études, les copains, les tags…
Il a rencontré Corinne dont le père, fortuné et influent, lui a permis d’accéder à un poste important à la mairie. Maintenant, en costume bleu marine et chemise blanche, il occupe ses journées entre les dossiers et les réunions, et ses dimanches dans la résidence sécurisée des beaux-parents. Ceux qui l’ont connu avant auraient du mal à le reconnaître mais à l’intérieur il continue à ressentir la violence des rapports sociaux et l’auteur le décrit très bien par des notations acérées, ici ou là. Ainsi lorsqu’il montre deux petites filles qui s’entraînent au tennis, sur le cours privé de la résidence sécurisée, sous le regard attentif de leur père : « Corinne, qui conduisait, ralentissait toujours pour les regarder, je crois qu'elle les admirait. Probablement voyait-elle deux enfants jouant quand je ne pouvais m'empêcher de deviner deux tueuses entraînées dès la naissance à faire souffrir la terre entière : leurs enseignantes d'abord, leurs employés très vite, leurs maris bientôt, et leurs parents enfin. Deux robots blonds dressés pour écraser le monde à coups de raquettes. » Ou quand il évoque l’intérieur de la maison des beaux-parents : « La "pièce de vie" comme l'appelait Corinne était entièrement décloisonnée, le sol en carrelage sombre évoquait les pierres tombales du Père-Lachaise tandis que la blanche neutralité des murs et des plafonds me rappelait le bloc opératoire où l'on m'avait retiré l'appendice, l'immense frigo américain en acier brossé ressemblait à ceux des morgues, les meubles blancs laqués étaient du même bois que celui dont on fait les cercueils des gitans catalans. » On sent que Mickaël évolue dans un monde qui ne le fascine pas vraiment…

Comment et pourquoi a-t-il autant changé ? La nouvelle vie qu’il s’est construite est-elle vraiment solide ? Y aura-t-il un avenir après Cannes, Corinne et sa famille ? Damien Ribeiro nous fait partager au plus près les émotions, les évolutions et les révolutions de son narrateur au fil des rencontres qui bouleversent son parcours. Un premier roman aussi passionnant que prometteur, dont l’écriture et la construction sont parfaitement adaptées au sujet et à la personnalité de son personnage principal. Un beau travail, tout en finesse et en subtilité. Un auteur à suivre…

Serge Cabrol 
(31/05/21)    



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Damien RIBEIRO, Les évanescents
Rouergue

(Avril 2021)
144 pages - 16,50 €

Version numérique
11,99 €











Damien Ribeiro,
né à Bayonne, s’est impliqué dans le mouvement hip-hop, notamment dans le rap et le graffiti. Les Évanescents est son premier roman.